Un homme et une femme
PAR ASGHAR FARHADI, DRAME IRANIEN, AVEC SHAHAB HOSSEINI, TARANEH ALIDOOSTI (2H05).
Certaines fissures sont apparentes, ainsi celles qui signalent que l’immeuble où vivent Emad, jeune professeur, et Rana, sa belle épouse, menace de s’effondrer. Mais d’autres sont invisibles. Elles sont les premiers indices d’une catastrophe possible. Ce sont elles qui intéressent Asghar Farhadi. De retour en Iran après une parenthèse française (« le Passé »), le cinéaste se comporte une nouvelle fois en architecte, bâtissant un scénario implacable, dont chaque pièce s’assemble sans que le spectateur en ait toujours conscience, sans que jamais les personnages ne mesurent les effets produits sur leur existence. Emad et Rana, également partenaires sur scène, où ils jouent « Mort d’un commis voyageur », emménagent dans un nouvel appartement, dont la locataire précédente, « une femme qui a de nombreux compagnons » (autrement dit, une prostituée), refuse de débarrasser ses affaires. C’est là qu’un soir, Rana, seule, a ouvert la porte sans demander qui sonnait, persuadée qu’il s’agissait de son mari. Quand celui-ci est entré, il a trouvé des traces de pas ensanglantés et Rana blessée à la tête, traumatisée. Que s’est-il passé ? C’est ce qu’Emad tente de savoir, menant sa propre enquête, mais la question essentielle est de comprendre comment cet incident, les interrogations qu’il fait naître et, plus encore, le regard porté par les autres sur le couple vont insidieusement modifier la relation jusqu’alors sans nuages entre un homme et une femme. A force de chercher, le mari finit par trouver et il piège le coupable, en qui il ne tarde pas à voir un double de celui que, chaque soir, maquillé, vieilli, il interprète sur scène, le misérable Willy Lomax créé par Arthur Miller. L’humiliation est au coeur du drame, celle vécue par Rana, dont on ne saura presque rien, celle endurée par Emad, confronté à la pression exercée par ceux qui veulent qu’il venge l’honneur de son épouse et le sien propre. Cette fois-ci, la femme est au centre du tableau dessiné par Farhadi, c’est elle qui, tout en silences, tout en regards, fait naître la tension, et la maintient jusqu’au dernier plan, délicieusement énigmatique. Et si Shahab Hosseini (Emad, photo) s’est vu récompenser à Cannes d’un prix d’interprétation, venu s’ajouter au prix du scénario décerné à Farhadi, il n’est pas douteux que la composition de la belle Taraneh Alidoosti aurait justifié amplement une même distinction.