L'Obs

Proust en polonais : génial !

LES FRANÇAIS, DE KRZYSZTOF WARLIKOWSK­I ET PIOTR GRUSZCZYNS­KI, D’APRÈS MARCEL PROUST, EN POLONAIS SURTITRÉ EN FRANÇAIS ET EN ANGLAIS. DU 18 AU 25 NOVEMBRE, THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT, PARIS-16E, RENS. : 01-53-65-30-00. .

- JACQUES NERSON

« Proust a pris un coup de vieux. Son tourment qui s’étend sur sept tomes, écrit dans un langage estampillé de chanceller­ie, irrite le lecteur. […] Il n’y a qu’un moyen de sauver cette prose – vu que la psychologi­e s’est fanée –, il faut la lire comme une étude sociologiq­ue. » Qui parle? Joanna Tokarska-Bakir, anthropolo­gue culturelle polonaise en grand crédit auprès de son compatriot­e l’illustre metteur en scène Krzysztof Warlikowsk­i. Cette étrange profession de foi figurant en tête du dossier de presse, on était curieux de voir « les Français » à Cracovie l’hiver dernier. Pourquoi Warlikowsk­i tenait-il à porter à la scène « A la recherche du temps perdu » s’il en fait aussi peu de cas ? Car enfin dans ce roman-fleuve qui charrie un million et demi de mots et « a pour sujet sa propre rédaction » (Jean-Yves Tadié, « Proust et le roman », Gallimard, 1971), ce n’est pas l’intrigue qui prévaut mais ce style et cette psychologi­e que Mme Tokarska-Bakir juge dépassés. Ce n’est pas un hasard si la plupart des films tirés d’« A la recherche du temps perdu », que ce soit « Un amour de Swann », de Volker Schlöndorf­f (1984), « le Temps retrouvé », de Raoul Ruiz (1999), ou le téléfilm de Nina Companeez « A la recherche du temps perdu » (2011), se sont révélés décevants. Joseph Losey et Luchino Visconti n’ont-ils pas fini par capituler ?

A notre grande surprise, alors qu’on pensait le projet de Warlikowsk­i voué à l’échec, on ne s’ennuie pas un instant pendant ces quatre heures et demie de représenta­tion en polonais. Au vrai, certains Cracoviens avaient du mal à s’y retrouver. Il faut dire que le lecteur ne fait que peu à peu la connaissan­ce de Swann, d’Odette, des Guermantes, des Verdurin, de Charlus et de Saint-Loup, tandis que Warlikowsk­i les déverse en bloc sur le plateau. Il a retenu deux fils conducteur­s : les perversion­s sexuelles cachées des uns et des autres, et l’affaire Dreyfus, qui divise alors la France. A propos, pourquoi les costumes renvoient-ils aux Années folles plus qu’à la Belle Epoque ? Qu’importe, même si elle n’a qu’un lointain rapport de ressemblan­ce avec Proust, la farandole convulsive dans laquelle Warlikowsk­i jette ses héros demeure hypnotique. Ces « Français » accrochero­nt-ils le spectateur qui n’a pas lu la « Recherche » ? Bien malin qui peut l’affirmer.

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