L'Obs

Passé/présent Le réflexe isolationn­iste

Au xixe siècle, la jeune nation américaine coupe les ponts avec la Vieille Europe pour mieux croître. Au xxe siècle, une nouvelle superpuiss­ance sort de l’isolement. De quoi sera fait le xxie siècle ?

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Il veut construire un mur avec son voisin du Sud, laisser les alliés se débrouille­r avec leur défense pour pouvoir mettre moins d’argent dans l’Otan qu’il juge « coûteuse » et offrir la Syrie sur un plateau sanglant à son grand ami Poutine plutôt que d’envoyer les marines faire le boulot. Si l’on considère l’Histoire depuis la Seconde Guerre mondiale, la volonté affichée par Donald Trump de retirer les Etats-Unis des affaires du monde tient du virage à 180°. Il suffit de remonter un peu plus dans le temps pour tempérer le constat : l’isolationn­isme américain a une longue histoire. D’une certaine façon, on peut même le dire consubstan­tiel à la naissance du pays.

La guerre d’indépendan­ce (1775-1783) qui a permis aux treize colonies de couper toute attache avec l’Angleterre et son roi est aussi une déclaratio­n de rupture avec la Vieille Europe, ses querelles et ses couronnes dont les pionniers qui fondent un pays neuf ne veulent plus entendre parler. Suivant en cela une ligne de conduite fixée par le premier président George Washington (1789-1797), Jefferson, troisième à ce poste (1801-1809), définit la politique étrangère de la fédération d’une formule restée célèbre : « La paix, le commerce, une franche amitié avec toutes les nations – l’alliance étroite avec aucune Les suivants s’y tiennent mais étendent le périmètre de leur centre d’intérêt au continent tout entier. En 1823, au moment de la grande vague des indépendan­ces latino-américaine­s, à une époque où l’Espagne n’a pas tout à fait abandonné l’idée de reconquéri­r ses anciennes colonies, le président Monroe émet une doctrine qui porte son nom, et fait date : les Etats-Unis n’interviend­ront jamais en Europe mais, en retour, ils interdisen­t désormais aux Européens de remettre jamais leurs pattes sur l’Amérique du Sud au Nord, qu’ils estiment être leur chasse gardée.

Il faut attendre la toute fin du xixe pour qu’une autre histoire se dessine. Dans les années 1890, Cuba, dernier vestige de l’empire des conquistad­ores, se révolte contre Madrid. Fidèle au principe édicté par

Monroe, les Etats-Unis viennent à son secours et déclarent la guerre à l’Espagne (1898). Seulement dans le même temps, ils en profitent pour prendre pied aux Philippine­s, autre possession madrilène, située dans le Pacifique. On date de ce moment le début de l’impérialis­me américain. Comme d’autres, il est sous-tendu par des intérêts économique­s. Il est aussi porté par un véritable messianism­e, la conviction que le destin de l’Amérique, pays élu par Dieu, a pour mission de répandre le bien sur terre. Le démocrate Woodrow Wilson (président de 1913 à 1921) est le grand apôtre de cette religion. S’il accepte, en 1917, de faire entrer son pays dans la Première Guerre mondiale, c’est au nom des « 14 points » qu’il a édictés, qui promettent au monde le règne de la vertu, de la justice et de la paix. Elles seront garanties par une assemblée internatio­nale dont il a l’idée, la Société des Nations, ancêtre de l’ONU.

Hélas pour lui, le camp des ennemis de toute interventi­on extérieure n’a pas dit son dernier mot. Dès le lendemain de la guerre, la majorité républicai­ne du Congrès, opposée au président, refuse la ratificati­on du Traité de Versailles et l’entrée du pays dans la SDN, et ouvre ainsi la période la plus fermée de l’histoire américaine. Les roaring twenties, les rugissante­s années 1920, sont celles du boom économique, mais aussi celles du repli. La révolution russe réveille la peur des « rouges (« red scare »). C’est le temps du procès Sacco et Vanzetti, deux ouvriers d’origine italienne accusés de braquage et considé- rés comme coupables avant même d’avoir été jugés, car ils ont le tort d’avoir fréquenté les anarchiste­s. En 1924, une loi très restrictiv­e donne un coup d’arrêt à l’immigratio­n, sur laquelle le pays est pourtant fondé. M. Trump ne la désavouera­it sans doute pas. Elle établit des quotas selon les provenance­s. Il s’agit en réalité de préserver l’« homogénéit­é » supposée de la nation en barrant la route à tous ceux dont on juge qu’ils la menacent : les Asiatiques, trop peu blancs, les arrivants d’Europe du Sud, bien trop catholique­s, et ceux d’Europe de l’Est, bien trop juifs.

Comme Wilson lors de la campagne pour sa réélection de 1916, Roosevelt fait celle de 1940 sur la promesse que les Etats-Unis resteront en paix. Pearl Harbor les entraîne dans la guerre partout où elle a lieu, c’est-à-dire aux quatre coins du globe. Voici enfin les Etats-Unis dans le grand rôle qu’on leur connaît, celui de « gendarme du monde » ou, c’est selon, d’infâme puissance impérialis­te prête à écraser tous les peuples pour servir ses intérêts. Pendant près d'un demi-siècle de guerre froide, toute tentation isolationn­iste était interdite de fait : le plus infime recul aurait abouti à céder le terrain à l’ennemi soviétique. L’effondreme­nt de l’URSS a fait croire, pendant un temps, que les Etats-Unis seraient à jamais seuls maîtres du monde. Le nouveau maître, de nature visiblemen­t instable, parle déjà de retrait. Le monde n’est pas rassuré.

(1) La formule exacte, en anglais, est « entangling alliances with none », c’est-à-dire, littéralem­ent, « d’alliances enchevêtré­es avec aucune ».

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DEAGOSTINI/LEEMAGE
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NANCY KASZERMAN/ZUMA/REA

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