L'Obs

Nouveau cirque Le mystère Thierrée

Depuis “la Symphonie du hanneton”, JAMES THIERRÉE, le petit-fils de Chaplin, est applaudi dans le monde entier

- Par JACQUES NERSON

LA GRENOUILLE AVAIT RAISON, conception et mise en scène de James Thierrée. Du 1er au 31 décembre. Rond-Point, Paris-8e. 01-44-95-98-21.

« Si vous avez envie de vous faire un ennemi de James, vous n’avez qu’à lui parler de son grand-père », prévient, goguenard, Jean-Michel Ribes, le directeur du RondPoint. On peut comprendre que James Thierrée en ait par-dessus la tête d’être renvoyé à Charlie Chaplin. Lourde hérédité en effet. Mais à qui la faute s’il a sa silhouette, son épaisse tignasse frisée et surtout cette élégance que le vagabond conserve même quand un essaim de policemen le course ou qu’un mari jaloux lui flanque un coup de pied au cul ? « Quand je danse, a-t-il dit, je sens bien que ça souffle très fort dans mon dos et qu’il ne sert à rien de résister. » D’où vient donc ce souffle mystérieux qui pousse James Thierrée en avant?

Il a très peu connu son grand-père. Il avait 3 ans quand il est mort, le jour de Noël 1977. Il ne refuse pas l’héritage, seulement il voudrait éviter que ses spectacles ne soient « parasités par ce genre de considérat­ion : “On va voir le petit-fils de Charlot.” Cela ne veut pas dire que je le rejette, sinon je ne bougerais pas comme je bouge. Ce qui est beau, c’est le fleuve qui continue d’avancer, qui se transforme ». Du reste, James ne compte pas que Chaplin parmi ses ascendants. Oona, sa grand-mère, était la fille d’Eugène O’Neill, l’un des plus grands dramaturge­s du xxe siècle. Et ses parents, Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin, dont les spectacles n’ont pas moins de succès que les siens, sont – avec le Cirque Bonjour, le Cirque imaginaire puis le Cirque invisible – les inventeurs du Nouveau Cirque.

Le cirque, James est tombé dedans quand il était petit. A 5 ans, son père l’enfermait dans une valise qui, pour la plus grande joie du public, se mettait tout à coup à gigoter. Il confiera plus tard : « Quand on est gosse, voyager dans un cirque, c’est une vie formidable. On a la place, le temps, la liberté. Ça représente la vie de tous les jours, pas le conte de fées. Le cirque est ma maison. L’exotisme, ce serait plutôt l’école. » Au fil des ans, il s’exerce à toutes les discipline­s circassien­nes. Le violon, l’acrobatie au sol, le trapèze, le mime, la danse mais aussi le théâtre, puisqu’il va se former au Piccolo Teatro de Milan, à la Harvard Theatre School, au Conservato­ire national supérieur d’Art dramatique de Paris et au cours de Robert Cordier. En 1998 le « hanneton » (c’est ainsi que ses parents avaient surnommé ce gamin remuant) prend sa volée et crée son premier spectacle. « La Symphonie du hanneton » remporte un triomphe planétaire. Depuis, « la Veillée des abysses », « Au revoir parapluie », « Raoul » et « Tabac rouge » se sont joués à guichets fermés. Et il va y avoir des pleurs au Rond-Point, car il ne reste plus une place à vendre pour « La grenouille avait raison ». Pourquoi ces spectacles sans paroles suscitent-ils un tel enthousias­me ? Ce sont tantôt des rêves, tantôt des cauchemars où hommes, bêtes et choses se métamorpho­sent sans cesse. Une succession de tableaux surréalist­es, inquiétant­s, cocasses, somptueux. James ne sait pas d’où lui viennent ces images. Il dit faire du théâtre « pour ne pas avoir à expliquer ce qui remue à l’intérieur ». Il n’accorde d’ailleurs d’interviews qu’au compte-gouttes : « On communique trop aujourd’hui. » C’est peut-être pour ça qu’il est réputé de caractère difficile.

Ribes proteste : « C’est quelqu’un d’exigeant, oui, mais quand on prend autant de risques, on a dans certains cas le droit de gueuler. » Même son de cloche chez Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, coproducte­ur de « La grenouille… » : « J’ai rencontré James en 2004. J’ai tout de suite eu le sentiment de me trouver face à un authentiqu­e artiste. C’est un vrai poète de la scène. Un créateur qui ne parle pas à travers les mots des autres. Bien sûr, quand il dirige, il peut se montrer autoritair­e. Mais quand les acteurs volent à 15 mètres de haut et courent réellement de grands risques, l’autorité me semble tout à fait acceptable. Disons que, sur l’échelle de Richter des gens difficiles, James est un tremblemen­t de terre… qui ne détruit personne. »

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