L'Obs

DE LA “CONFRONTAT­ION LOYALE” À LA GUERRE SANS MERCI

Fini le respect mutuel. Les deux anciens Premiers ministres, désormais adversaire­s, vont devoir montrer les crocs

- Par CAROLE BARJON

Jusqu’au début du mois de novembre, ils n’avaient jamais imaginé sérieuseme­nt de se retrouver un jour l’un face à l’autre. Pour François Fillon, comme pour Alain Juppé, le duel à venir n’est pas simple. Tous deux issus du RPR, malgré des sensibilit­és et des mentors différents – Chirac pour Juppé, Séguin pour Fillon –, ces deux hommes ont appris depuis longtemps à se respecter. En 1989, un an après la défaite cinglante de Jacques Chirac face à François Mitterrand, le RPR tangue sous les coups de boutoir de Charles Pasqua et de Philippe Séguin. Juppé, aidé par Sarkozy, soutient Chirac. Fillon est alors dans le sillage de Séguin. Mais, aux yeux de Juppé, de dix ans son aîné, l’élu de la Sarthe ne compte pas.

Six ans plus tard, à l’issue de la guerre Chirac-Balladur, alors que les balladurie­ns sont promis aux enfers, François Fillon devient ministre délégué aux Télécommun­ications dans le gouverneme­nt d’Alain Juppé. Il a pourtant soutenu Edouard Balladur. Mais Jérôme Monod, vieil ami de Chirac aujourd’hui décédé, plaide sa cause. De son côté, Juppé apprécie le sérieux de son cadet et son approche libérale de l’économie.

Depuis, ils ne se sont affrontés qu’en de très rares occasions. En 1995, par exemple, lorsque Fillon reproche au RPR, dirigé par Juppé, de ne pas s’attaquer assez fermement au Front national… Presque vingt ans plus tard, c’est l’inverse. En septembre 2013, Juppé manifeste publiqueme­nt son « incompréhe­nsion » en entendant Fillon dire qu’entre un socialiste et un candidat du FN, il choisirait « le moins sectaire ». Pour le reste, il n’y a aucun vrai cadavre entre eux. Lorsque Juppé est condamné en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs du RPR, Fillon se dit « sous le choc ».

Après 2012, les deux hommes, qui concentren­t leurs tirs sur Sarkozy, rivalisent d’amabilités : « estime réciproque », « mêmes valeurs », « proximité », « même conception de la vie politique », etc. Dans chaque camp, quand on évoque la primaire à venir, on parle de « confrontat­ion à la loyale » et même d’un éventuel pacte. Lors d’un meeting commun en Gironde, Juppé avait lancé, tout sourire : « Cher François, je sais que tu travailles. Je fais de même. Et je ne doute pas que nos efforts convergero­nt, un jour. »

Avec la montée de Fillon dans les sondages, tout change. Lors du dernier débat avant le vote, Alain Juppé montre les crocs en dénonçant l’« irréalisme » de la propositio­n qu’a faite Fillon de supprimer 500000 postes de fonctionna­ires. Depuis les résultats, le maire de Bordeaux, qui espère rallier ainsi les suffrages des électeurs de gauche, attaque désormais Fillon le réac. Ce qu’a confirmé la première passe d’armes des deux hommes au lendemain de ce premier tour. Devant ses soutiens parisiens réunis à son QG, Juppé a dénoncé lundi la «très grande brutalité» du programme économique de Fillon. Il a surtout attaqué la vision « extrêmemen­t traditiona­liste, pour ne pas dire un peu rétrograde », de son adversaire « sur la famille, le rôle des femmes et le mariage ». En ajoutant : « Je dis à mes coreligion­naires catholique­s que moi, je suis plus proche de la parole du pape François que de la Manif pour tous. » Réplique immédiate de Fillon sur TF1 : « Je ne suis pas sûr qu’il ait bien écouté le pape François. Sur la plupart des sujets qu’il semble vouloir me contester, le pape dit la même chose que moi. »

Dans la semaine, les Jeunes avec Juppé devaient promouvoir une tribune de signataire­s issus de la société civile dénonçant ce retour au passé qu’incarne Fillon. « Il va aviver les plaies, rouvrir des débats qui ont déjà été tranchés », assène Jérémie Patrier-Leitus, l’un des dirigeants des jeunes juppéistes. Qu’importe si le vainqueur du premier tour a précisé, sur France 2, le 27 octobre, qu’il était « hors de question » de revenir sur l’avortement. Qu’importe qu’il ait encore affirmé ce soir-là qu’il ne toucherait pas au droit au mariage pour les homosexuel­s, mais seulement à l’adoption plénière. « On sait très bien qui il y a derrière lui, rétorque-t-on chez Juppé. Son électorat va le pousser. Quand on récrit une loi, on ouvre la boîte de Pandore et on ne sait plus où ça s’arrête. »

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