SARKOZY, VOILÀ C’EST FINI !
Convaincu que l’anti-sarkozysme s’était atténué, l’ancien chef de l’Etat n’a jamais envisagé une telle déroute. Retour sur les ratés d’une campagne. Sans doute sa dernière
Le « lien » était donc cassé. Cette relation si forte que Nicolas Sarkozy sentait entre les Français et lui qu’aucun de ses concurrents à la primaire de la droite ne pouvait à ses yeux lui disputer. Aucun n’avait sa légitimité. Aucun n’était appelé par un diminutif. Aucun ne déclenchait de telles passions. Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence. Dans son QG du 7e arrondissement, l’ex-chef de l’Etat a compris en cette folle soirée du 20 novembre qu’il s’était trompé. Un peu avant 21 heures, il s’isole dans un bureau avec ses conseillers. Il peut encore croire à la deuxième place derrière François Fillon. Une heure après, il ressort éliminé de la primaire, rayé de la scène politique, poussé vers la retraite. L’illusion sur laquelle il vivait depuis son retour s’est brutalement dissipée : certes, il suscitait bien une ferveur unique, mais une armée d’adorateurs, aussi dévoués soient-ils, ne reflète pas l’humeur d’un pays. « Cette primaire, c’était tu veux ou tu ne veux pas le retour de Nicolas Sarkozy », analysait un député. Et les Français ont répondu, sèchement, à l’ancien maire de Neuilly : voilà, c’est fini!
Jamais, pourtant, Sarkozy n’avait envisagé une telle défaite. « C’était magique, comme lui ne doutait pas, il n’y a pas eu de contagion parmi nous », reconnaît son ami le sénateur Pierre Charon. Il faut dire que, depuis sa présidentielle perdue en 2012, il n’avait pas cessé de sentir les encouragements. On l’applaudissait dans les concerts de Carla. On l’attendait à la sortie des restaurants. « Comment rester indifférent à cette chaleur, à cette amitié, à cette fidélité? Comment dire à tous ces Français qu’ils ne faisaient plus partie de ma vie ? Qu’ils ne devaient plus compter sur moi ? Que j’avais tourné
la page? Eh bien je n’ai pas pu. Je n’ai pas voulu. Je suis donc revenu », écrivait-il dans « la France pour la vie ». Depuis son retour à la tête de l’UMP à la fin 2014, il se dopait aux « tenez bon » entendus à chaque déplacement, aux files d’attente lors de ses dédicaces dans les supermarchés et aux bousculades pour décrocher un selfie avec lui. Le mal-aimé se croyait redevenu populaire ! Il se sentait même capable de reconquérir les déçus. Comme cette jeune franco-tunisienne croisée à Montargis en avril dernier qui lui explique qu’elle n’a pas revoté pour lui en 2012 car il divisait trop le pays. « Elle ne me voit pas comme un politique mais comme Sarkozy, confie-t-il en sortant. On a une histoire en commun. Comme dans une famille, le lien se détend, puis se retend. » Ce jour-là, une foule l’attend, et lui s’enivre de sa légende : « Sarko, Sarko! » répète-t-il. Comment ne pas y croire ?
D’autant que le revenant se sent en phase avec les profondeurs du pays. « Les plaques tectoniques bougent », dit-il au printemps 2016, l’oeil rivé sur le phénomène Trump aux Etats-Unis. Les Français veulent des candidats anti-establishment et de « l’épicé ». Il en sert à son public, à chaque meeting, des « frites » aux « Gaulois ». Dans les salles, ça applaudit. Dehors, la gauche hurle et la droite bon teint tique. Mais peu importent les « bien-pensants » : « La présidentielle va se jouer très à droite et je serai face à Le Pen », assure-t-il en privé. Dans la France post-Charlie et post-Bataclan, les Français attendent de l’autorité et de la fermeté sur l’immigration ou la place de l’islam en France. Le Sarkozy 2017 promet donc la remise en cause du regroupement familial et l’internement des fichés S. « Il n’a pas son pareil pour percevoir ce qui travaille l’opinion publique et le traduire de façon cash, témoigne alors un député admiratif. En gros, sa campagne, c’est : “Vous en avez marre des immigrés, on va vous en débarrasser ! Et vous en avez marre des impôts, on va les baisser”. »
Dans son camp, on s’autopersuade que les affaires qui lui collent à la peau ne l’atteindront pas. Même pendant la folle semaine de septembre où Sarkozy est rattrapé par les ennuis de son ami Squarcini, les soupçons de financement venus de la Libye, le scandale Bygmalion et par son ancien conseiller Patrick Buisson, qui l’étrille dans un livre et le campe sur un plateau télé en « président selfie, absorbé par la jouissance du pouvoir ». A l’époque, le fidèle Brice Hortefeux croit encore que tout ça glissera sur son champion. « Buisson, tout le monde s’en fout, dit-il, la campagne de Nicolas Sarkozy marche très bien. » Pourtant, sur les marchés, les électeurs coincent. Ses adversaires, eux, l’enterrent : « Les sondeurs refusent les mouvements amples, mais l’électeur, lui, a zappé Sarkozy », dit alors Jérôme Grand d’Esnon, le directeur de campagne de Bruno Le Maire, qui n’imagine pas alors que « l’électeur » zappera aussi le héros du renouveau.
Où Sarkozy s’est-il trompé? Il n’a pas vu la vague que serait cette primaire. Il a cru que mobiliser le coeur des militants et sympathisants des Républicains lui assurerait la victoire dans une élection à laquelle seuls les plus motivés participeraient. « Son pari, c’est d’abord de faire voter la “fan zone”, on ne sait pas si c’est 200 000 personnes ou 1 million, expliquait Gérald Darmanin, son directeur de campagne avant le vote. S’il y a 4 millions de votants, je serais surpris. » C’est pourtant ce qu’il s’est passé. En plus de son socle de fidèles, l’ancien président s’est cru capable de ramener vers lui ses électeurs déçus partis au Front national. Comme Madeleine, cette retraitée marseillaise qui l’avait interpellé un matin sur RTL et qu’il avait reçue en grande pompe dans son bureau au huitième étage du siège de son parti. Madeleine a bien voté pour lui dimanche dernier. Mais beaucoup d’électeurs de « Marine » ne sont pas revenus. « Il est usé, archi-usé, vu et revu, ça ne peut pas marcher », jugeait la patronne du FN à la soirée organisée pour les 50 ans de « Valeurs actuelles ». L’ancien président a jaugé que l’anti-sarkozysme s’était largement éteint dans le pays. Erreur : il a repris vigueur aussi vite qu’il semblait s’être envolé. Alain Juppé le modéré a jusqu’au bout cru en être le bénéficiaire. « Les Français n’attendent pas du rêve. Ils attendent moins de show, moins de com, mais du crédible, expliquait son porte-parole Benoist Apparu. En 2007, ça avait marché. Mais après dix ans de crise massive, l’électeur de droite voudra du sérieux, de la crédibilité dans la réforme. » Seul souci pour le maire de Bordeaux : c’est au finish François Fillon qui l’a incarné. Excès d’immodestie, Sarkozy a finalement cru qu’il était capable de réussir une figure jamais vue sous la Ve République : revenir à l’Elysée après avoir été battu. « Quand on a coupé la tête du roi, c’est dur de la remettre sur ses épaules », avait pourtant prévenu Fillon. Difficile d’être et d’avoir été. D’être jugé crédible après avoir déçu. Pour son électorat, le président de la rupture avait oublié ses engagements en chemin une fois arrivé au pouvoir. Cela ne l’empêchait pas de promettre à nouveau la lune. Comme à Calais, le 21 septembre, face à des riverains angoissés. « Avant la fin de l’été 2017, M. et Mme Lebrun, le problème de la jungle sera réglé, assuret-il. Et qu’on ne me dise pas que c’est impossible. » Ses solutions? Revoir les accords du Touquet… qu’il avait lui-même signés en tant que ministre de l’Intérieur en 2003. Ce même jour, il visite une usine à Marcq-enBaroeul. Comme au bon vieux temps de la France qui se lève tôt, l’ex-président du pouvoir d’achat promet aux salariés en blouse blanche le rétablissement des heures sup défiscalisées. « Il y a un dicton ici : “Gros parleux, petit faiseux”, le taquine le patron. On compte sur vous pour le faire mentir. » Sarkozy s’en tire par une pirouette : « Je ne suis pas gros, je ne me sens pas visé. » Mais il y a comme un doute dans l’air.
Le 6 mai 2012, au soir de sa défaite, le chef de l’Etat battu avait pris le temps de réconforter les uns et les autres, soulignant la chance qu’il avait eue d’exercer de telles responsabilités. Ce dimanche 20 novembre, entouré de son épouse Carla et de son fils Louis, mais aussi de Claude Guéant ou d’Ingrid Betancourt, il a embrassé ses amis et remercié chacun. « Au revoir à tous », a-t-il dit aux Français. Mais jamais il n’a prononcé le mot « adieu ».
“LES FRANÇAIS ATTENDENT MOINS DE SHOW, MOINS DE COM, MAIS DU CRÉDIBLE.” BENOIST APPARU