L'Obs

Les serfs se rebiffent

Où l’on voit qu’il y a l’art, et la manière

- D. D. T.

Auteur de science-fiction, mort l’année dernière, Ayerdhal serait heureux. Il avait fondé un collectif, le Droit du Serf, pour la défense des auteurs. Leurs droits ont été singulière­ment bafoués, sous Fillon et Sarkozy, par une loi de mars 2012 qui autorise une société, la Sofia, à di user numériquem­ent tous les livres parus en France antérieure­ment à 2001 et réputés par elle « indisponib­les ». Elle agit sans la moindre autorisati­on des auteurs qu’elle ne fait pas même mine de rechercher, c’est à eux de se renseigner pour voir si par hasard cette Sofia ne se propose pas de mettre en vente un de leurs bouquins dont elle compterait s’emparer. Alors peuvent-ils, ils ont six mois pour le faire, s’y opposer. Situation extravagan­te dans laquelle ils sont mis et que nous n’avons pas été nombreux, à l’époque, à dénoncer. On se faisait moquer.

Grâce au Droit du Serf, quatre ans ayant passé, et sur une demande du Conseil d’Etat qui ne semble pas s’être senti en mesure de trancher à lui seul, la Cour de Justice de l'Union européenne a rendu un arrêt dont elle vient de publier les conclusion­s : cette limitation du droit des auteurs est non conforme aux directives européenne­s qui les protègent. Le Conseil d’Etat n’a plus qu’à se soumettre et voilà qu’est signifiée la fin des spoliation­s par la Sofia. Une belle claque dans la gueule aux députés de la précédente législatur­e qui avaient, je crois me rappeler, voté leur loi imbécile à l’unanimité.

Nous avons levé notre verre, retour à la chronique. De quoi va-t-on parler? Tiens, d’un fauteuil roulant. En pleine guerre de Syrie et d’Irak, il faudra se reporter à celle d’Afghanista­n. Nous serons en phase quand même car qui prétendrai­t qu’elle est finie, la guerre d’Afghanista­n ?

En ce temps-là, elle battait son plein. Le caporal britanniqu­e Phillip Eaglesham s’en revint frappé par une bactérie qui le condamne depuis six ans à se déplacer en fauteuil roulant. D’aucuns se contentent de s’y laisser pousser, ou d’en activer le moteur électrique (qui n’émet pas de gaz carbonique, ça fait toujours plaisir, retour de guerre, de savoir qu’on n’émet pas de gaz carbonique). Phillip Eaglesham n’est pas de ceux-là. Dans son fauteuil, il gamberge, vient d’être présenté au public le résultat d’une de ses réflexions.

Ça l’agaçait, cloué à son fauteuil, de parler aux gens debout en étant dominé d’une tête, parfois de deux, parfois aussi par des gens minuscules qu’il aurait naguère à peine remarqués, c’est un grand gaillard, le caporal Eaglesham.

Son idée est toute bête (il n’est quand même pas lieutenant-colonel), disons toute simple : il a inventé et mis au point un dispositif qui lui permet de faire s’élever le siège sur lequel il est assis. Reste seule en place la partie motorisée et ainsi s’installe-t-il à la hauteur de ses interlocut­eurs. Il n’est plus obligé de lever la tête pour converser. On n’a plus à baisser la sienne pour lui parler. Confort pour tous et, psychologi­quement, sans doute que ça change des choses. Dans les supermarch­és, il n’a plus à demander qu’on lui attrape les articles posés sur les rayons du haut. Puis il y a un truc dont les laudateurs d’Eaglesham ne parlent pas et auquel il a sûrement pensé. Peut-être l’a-t-il expériment­é. Quand un type ne lui revient pas, ou lorsque quelqu’un lui lâche en face un propos déplaisant, il n’a plus à se contenter de répliquer plus ou moins vertement. Il allonge le poing et prends ça, mon gars, c’est un souvenir afghan.

Pendant qu’un Eaglesham trouve des idées, vous en avez qui cherchent de l’or. Quand ils l’ont trouvé, encore faut-il qu’ils le débarrasse­nt du sable dans lequel il est niché. Ils sont alors appelés orpailleur­s. En Amérique du Sud, nombre d’entre eux exercent clandestin­ement dans des réserves indiennes pas encore exploitées. Les Indiens les voient d’un sale oeil. Les conflits ne sont pas rares. Six orpailleur­s du Brésil viennent d’être tués à l’arc. On ne meurt plus guère percé d’une flèche. C’est une mort écolo.

Une belle claque dans la gueule aux députés.

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