L'Obs

Et Marseille se révolta

LA VILLE DES TEMPÊTES, PAR JEAN CONTRUCCI, HC, 416 P., 19 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Les plus érudits l’ont oublié, la plupart d’entre nous l’ignoraient : pendant quelques années, de 1591 à 1596, Marseille fit sécession et quitta la France. Elle fut alors une république consulaire, tendance dictatoria­le, et se déclara indépendan­te. La raison de cette dissidence ? L’adhésion de la cité phocéenne à la Ligue catholique, dont le chef était le duc de Mayenne, et le rejet du roi protestant Henri IV, tenu pour hérétique. Même lorsque, en 1593, ce dernier abjura sa foi huguenote, se convertit au catholicis­me et fut adoubé par le pape, Marseille continua de vouloir s’affranchir du pouvoir royal et de se rêver en nouvelle Venise. Les deux fanatiques qui menèrent la fronde étaient le premier consul Charles de Casaulx et le viguier Loys d’Aix, tous deux surnommés les duumvirs. Pour asseoir leur autorité, ils construisi­rent un fort à l’entrée du port, plantèrent un crucifix géant sur la porte Réale, frappèrent leur monnaie (le patac), cadenassèr­ent les portes de la ville, y firent régner la terreur, l’affamèrent et en appelèrent aux armées du roi d’Espagne Philippe II afin, croyaient-ils, de vaincre les troupes d’Henri IV. Cette période de folie, aucun romancier n’avait encore eu assez de cran et de souffle pour la raconter. Jean Contrucci, l’héritier provençal de Dumas et de Sue, déjà chroniqueu­r de la révolte de sa ville rebelle contre Louis XIV (« la Vengeance du Roi- Soleil »), s’y est donc attelé, avec la fougue d’un pur-sang emballé. Il imagine le retour à Marseille, en 1595, sur un navire pirate, d’un aristocrat­e de 29 ans, Thibault de Cervières, alors en route vers Malte, qui fut capturé par des corsaires barbaresqu­es et fait prisonnier, pendant onze ans, sous le nom d’Al-Gawri, par le dey d’Alger. Le jeune homme découvre, en arrivant, que son père est mort, que sa soeur a disparu et que son oncle a mis la main sur son héritage. Il découvre surtout que Marseille, tyrannisée et séquestrée au nom de Dieu par les duumvirs, est en état de siège et de décomposit­ion avancée. En somme, Thibault va tenter de recouvrer ses droits dans une ville qui piétine ses devoirs et d’obtenir justice dans une enclave hors la loi. Follement épique (sur terre comme sur mer), plein de rebondisse­ments, de pistolades, de courses-poursuites au galop, de corsaires plus généreux que les notables de la Sainte Ligue, ce roman est le meilleur portrait de Marseille, lorsque, vingt ans après la Saint-Barthélemy, elle devint le centre d’une guerre de religion qui n’avait pas dit son dernier mot. Après le meurtre de Casaulx et la soumission, en 1596, de la cité factieuse, Henri IV s’écria : « C’est maintenant que je suis roi de France ! » Une couronne dont, aujourd’hui, on coifferait volontiers Jean Contrucci.

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