Signé Malraux
CORRESPONDANCE 1941-1959 ET AUTRES TEXTES, PAR ALBERT CAMUS ET ANDRÉ MALRAUX, GALLIMARD, 156 P., 18,50 EUROS. MALRAUX FACE AUX JEUNES, ENTRETIENS INÉDITS, FOLIO, 106 P., 2 EUROS. L’HOMME DES RUPTURES, PAR ALAIN MALRAUX, ÉCRITURE, 224 P., 18 EUROS.
On peut penser ce qu’on veut de Malraux et de sa mythomanie fulgurante, mais voilà quelqu’un qui savait lire. « Le début patouille un peu », écrit-il en 1941 à un jeune inconnu, mais « vous prenez place parmi les écrivains qui existent – qui ont une voix, bientôt une audience et une présence. Il n’y en a pas tant. Ensuite commence leur destin, mais c’est une autre histoire. » L’inconnu s’appelle Albert Camus, et son manuscrit, « l’Etranger ». Il s’en souviendra en recevant le Nobel : « Je tiens à dire que, si j’avais pris part au vote, j’aurais choisi André Malraux pour qui j’ai beaucoup d’admiration et d’amitié et qui fut le maître de ma jeunesse. » Comment se fait-il qu’on l’ait oublié ? Quarante ans après sa mort, le 23 novembre 1976, l’auteur de « l’Espoir » semble passé de mode quand celui de « la Chute » est une icône. Le destin d’un écrivain est toujours une autre histoire.
On ferait pourtant bien de lire un peu Malraux. On y trouve de quoi méditer sur la fraternité (« le contraire de l’humiliation »), le terrorisme (« le terrorisme provoque la répression mais la répression organise le terrorisme »), la nécessité de « trouver la raison d’être de l’Homme » sans déterrer des racines chrétiennes et des « valeurs religieuses ». Sa correspondance avec Camus, complétée d’intéressants documents par Sophie Doudet, vaut aussi le détour à ce titre. Elle trouve de jolis échos dans une biographie admirative d’Alain Malraux (son neveu et fils adoptif), mais également dans deux entretiens étonnants, où l’auteur des « Antimémoires » baisse (un peu) la garde devant des lycéens, autour de Mai-68. Il tacle gentiment Régis Debray, voit dans Cohn-Bendit un « excellent personnage de roman », cause de l’histoire, de l’Europe, du gaullisme. La préface de Michel Crépu a donné le ton en citant « la Tentation de l’Occident » (1926) : « Il n’est pas d’idéal auquel nous puissions nous sacrifier, car de tous nous connaissons les mensonges, nous qui ne savons point ce qu’est la vérité. »