Le voyageur sans bagage
Antoine Rault, le dramaturge du “Caïman”, se lance avec maestria dans le roman historique, période 1914-1918 LA DANSE DES VIVANTS, PAR ANTOINE RAULT, ALBIN MICHEL, 494 P., 22 EUROS.
C’est surtout au théâtre qu’Antoine Rault s’est fait connaître. La majorité de ses pièces mettent en scène des personnages puisés dans la réalité : Althusser (« le Caïman »), Mazarin (« le Diable rouge »), Heidegger (« le Démon de Hannah ») ou encore John Law (« le Système »). Il aborde à présent le roman historique. Le coup d’essai est un coup de maître. Ayant parfois ironisé sur ses à-peu-près, on est d’autant plus heureux d’exprimer une admiration sans réserve pour « la Danse des vivants ».
Jeune officier français, Charles, héros du livre et héros au combat, se réveille sur un lit d’hôpital quelques mois avant la fin de la guerre de 14-18. Il ne se souvient plus de rien, pas même de son nom. Les services secrets, alias le Deuxième Bureau, seraient en mesure de lui révéler qui il est et de le rendre aux siens, mais ils préfèrent profiter de sa perte de mémoire pour l’envoyer infiltrer les Allemands, soupçonnés non sans raison de se réarmer en secret malgré l’armistice. Il y a, dans la déréliction de l’espion sans passé comme dans le choix qu’il fait à la fin du roman, quelque chose du « Voyageur sans bagage », de Jean Anouilh, autre soldat amnésique à la recherche de son identité. Au-delà de l’odyssée de Charles à travers une Allemagne dévastée, l’auteur, ancien de Sciences-Po, nous livre, mine de rien, une brillantissime leçon d’histoire portant sur les conséquences du traité de Versailles, qui, en humiliant les vaincus, en leur faisant perdre la face, allait empêcher la France et l’Allemagne de se réconcilier, et permettre à Hitler de rallumer l’incendie vingt ans après.
Captivé par les pérégrinations de Charles comme par les convulsions de haine et de désespoir d’une nation qui refuse sa défaite, on tourne avidement les pages, à la fois impatient de la fin et désolé de voir le dénouement approcher. Il y a longtemps qu’un roman historique n’avait procuré un tel plaisir de lecture. A-t-on eu tort de chapitrer Antoine Rault dramaturge ? Non, c’est lui qui se causait du tort en apportant jusqu’ici moins de soin à écrire ses pièces qu’à ce roman, qu’on ne peut se résoudre à refermer. On espère qu’il lui donnera vite une suite.