L'Obs

Le temps d’une vie

UNE VIE, PAR STÉPHANE BRIZÉ. DRAME FRANÇAIS, AVEC JUDITH CHEMLA, JEAN-PIERRE DARROUSSIN, YOLANDE MOREAU, SWANN ARLAUD, NINA MEURISSE, CLOTILDE HESME (1H59).

- PASCAL MÉRIGEAU

D’emblée, le format de l’image saisit. L’oeil s’est déshabitué du bon vieux 1:33, de cette image presque carrée pratiqueme­nt disparue aujourd’hui. Il faut s’accoutumer, mais l’impression d’étrangeté est créée; elle ne s’estompera pas. Un choix de cinéma pour une adaptation littéraire, la voie est tracée : plus qu’à la ligne dramatique, l’histoire d’une femme flouée par son mari puis par son fils, c’est à la représenta­tion que Stéphane Brizé s’attache. Et, tout au long du film, ce sont des partis pris de mise en scène qu’il impose, les seuls à atteindre la vérité des personnage­s. Laquelle conduit par instants à la tentation de l’abstractio­n, ainsi lorsque deux taches blanches s’éloignent dans le noir, chemise de nuit de la femme qui s’enfuit et celle du mari qui la poursuit. Entre elle, qui vient d’apprendre que Rosalie, la domestique, est enceinte des oeuvres de l’époux, et ce dernier, la confrontat­ion a été violente, mais le film n’en a rien donné à voir. Le temps du roman n’est pas celui du film, et de cette évidence le film se nourrit. Il laisse les drames hors champ et n’en saisit que les conséquenc­es (les cadavres, pas les meurtres). Il exprime le passage des années sans artifice : la lumière seule dit les saisons, et le froid, et la chaleur, et le visage de Jeanne, qui, en moins de deux heures, passe de l’état de jeune fille au sortir du pensionnat à celui de grand-mère, se transforme non par le maquillage, mais par le jeu de Judith Chemla, par ses attitudes, ses façons de se tenir, de se déplacer, bref par tout ce qu’une actrice peut donner, et que la jeune comédienne sert admirablem­ent.

C’est ainsi que, peu à peu, l’émotion s’installe. Presque absente des premières séquences, elle s’empare du film à mesure que s’exprime cette réalité intangible selon laquelle les choix d’hier, effectués ou consentis, modèlent l’existence bien longtemps après qu’ils sont oubliés. Alors, toute une vie se trouve mise en perspectiv­e, avec ce qu’elle contient de caché, ce qui jamais ne se dit et qui parfois affleure, dans les lettres secrètes précieusem­ent conservées et enfermées jadis, comme celles que Jeanne découvre, adressées à une mère dont à aucun moment elle n’avait pensé qu’elle fut femme, elle aussi.

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Jeanne (Judith Chemla) et son mari, Julien (Swann Arlaud).

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