Sur la plage de Trieste
L’ULTIMA SPIAGGIA, PAR THANOS ANASTOPOULOS ET DAVIDE DEL DEGAN. DOCUMENTAIRE ITALIEN (1H58).
Cette dernière plage, un romancier aurait pu l’inventer. Elle semble en effet d’un autre temps et de nulle part. C’est une plage de galets coupée en deux par un haut mur de béton lézardé. D’un côté, les femmes, et de l’autre, les hommes (seuls les enfants de moins de 12 ans peuvent franchir la frontière). On la surnomme en dialecte triestin « El Pedocin », autrement dit « l’épouilloir », au prétexte que l’Adriatique éliminerait poux et parasites. Elle se situe au centre de Trieste, ville austro-hongroise rattachée à l’Italie en 1954, située à l’extrême nord-est de la péninsule et à la frontière de la Slovénie. Le Grec Thanos Anastopoulos et l’Italien Davide Del Degan ont filmé pendant quatre mois ce lieu improbable, d’une tristesse et d’une gaieté parfois réconciliables. Ils ont pris le temps – un peu trop, mais cela ajoute à la mélancolie de « l’Ultima Spiaggia » – d’en décrire les rituels, d’en portraiturer les habitués des deux sexes, d’en montrer les moeurs surannées et les corps fatigués. Pas de commentaires, pas d’interviews, pas d’analyse anthropologique : seulement une manière de commedia dell’arte en bord de mer où, tous milieux sociaux et générations confondus, la vie prend le soleil, se baigne, pique-nique, chante, roupille, s’ennuie, s’oublie, vieillit et ignore obstinément l’actualité – y compris la crise migratoire. Le premier livre du Triestin Italo Svevo s’appelait « l’Avenir de la mémoire ». Ce pourrait être l’autre titre de ce film à la fois naturaliste et fantomatique.