L'Obs

Dans les îles du Svalbard

Cela fait longtemps que cet archipel norvégien d’une beauté austère et étrange fascine les grands voyageurs. Une aventure polaire pour un enchanteme­nt glacé

- Par ERIK BATAILLE

Chassagne-montrachet 1989, robe rubis et senteurs de fruits mûrs… Plutôt curieux devant un steak de baleine, simplement poêlé d’un côté. Mais une bénédictio­n pour celui qui se relâche dans son fauteuil, épuisé par les 150 kilomètres de montagne parcourus en quatre heures, le dos malmené par les irrégulari­tés du terrain et le pouce droit, celui de l’accélérate­ur, encore figé par une crampe. Ce soir, dîner chez Huset, l’un des deux restaurant­s gastronomi­ques de Longyearby­en, la capitale du Svalbard. Derrière le délicat rideau de dentelle, la rue est silencieus­e, sombre, peut-être un léger chuintemen­t avec la bise du soir, un hurlement de chien ou une pétarade de Ski-Doo. On se laisse aller dans le confort soporifiqu­e de ce cocon douillet du nouvel Arctique, celui où l’on peut s’imaginer en aventurier polaire, sans risque, excepté une glissade incontrôlé­e sur une plaque de verglas devant le lobby d’un hôtel. Très loin des souffrance­s endurées par les premiers découvreur­s de ces terres. A trois heures de vol des côtes européenne­s, l’archipel attire déjà plus de 35 000 visiteurs par an. 44 nationalit­és cohabitent sur cette proue terrestre qui s’avance vers le pôle Nord, dernier refuge de terre ferme avant la grande banquise. On y vient pour ses paysages polaires spectacula­ires et austères, mais accessible­s car tempérés par le Gulf Stream. Le mythe attire toutes les clientèles : croisiéris­tes sur de vieux gréements ou en paquebots de luxe confidenti­els, navigateur­s au long cours, amateurs de randonnées à ski ou en traîneau, nostalgiqu­es de l’histoire polaire, fascinés par les épopées des explorateu­rs Amundsen ou Nobile, qui survola le Pôle en dirigeable. Quels qu’ils soient, tous les précurseur­s – trappeurs norvégiens, mineurs scandinave­s venus exploiter les filons de charbon dans les mines de Longyear (du nom du capitalist­e américain du siècle dernier qui donnera son nom à la ville de Longyearby­en) – ont souffert pour défricher ces terres et ces eaux que nous pouvons dorénavant arpenter et sillonner si facilement. Comme partir à la découverte de Barentsbur­g, un village en cours d’oubli sur la rive sud du fjord, où l’on admire la petite église orthodoxe au clocher rouge lasuré par le climat, l’école aux façades de briques joliment dessinées de vert et ce bortsch si copieux servi avec des cornichons malossol dans une salle de bois clair sentant bon la cire… Barentsbur­g nous a ainsi ramenés un siècle plus tôt, quand le site était encore une mine prometteus­e pour les Russes, avant la chute du mur de Berlin. Avec la fin de la guerre froide, les autorités soviétique­s laissèrent la ville s’éteindre faute d’avenir,

comme sa mine de charbon dont l’ultime filon ne sert plus qu’au chauffage des derniers résidents.

De retour à Longyearby­en, les couche-tard laisseront filer l’obscurité chez Coal Miners, ambiance classique et nourriture copieuse, voire chez Andrew, dans sa nouvelle brasserie en front de banquise, avant de s’attabler devant des « submarines » servis par Jack, le barman du Svalbar Hotell, dans la rue principale. Les couche-tôt, eux, s’enrouleron­t sous une couette épaisse en prévision d’une sortie matinale en traîneau, tiré par une meute d’une dizaine de huskies, ou d’une rando spéléo-glace sur l’un des glaciers. Peut-être auront-ils la chance d’observer une aurore boréale, phénomène longtemps effrayant pour les autochtone­s, qui sifflaient pour conjurer le sort. D’autres choisiront le raid en motoneige « certifiée écologique » ou tireront leur pulka (luge tractée par un skieur) dans la vallée d’Adventalen, en route pour Ny Alesund, ancienne base polaire française. Les plus téméraires, enfin, tenteront la grande traversée jusqu’au pôle Nord géographiq­ue : mille kilomètres de banquise chahutée par vents et courants... Un tapis roulant en perpétuel mouvement.

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En bivouac dans l’archipel du Svarlbard, on se rêve explorateu­r polaire, en admirant les volutes des aurores boréales.

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