L'Obs

Révolution­s, guerre, découverte­s scientifiq­ues, art moderne, naissance du féminisme… En 1917, tout a été bousculé. Tout s’est métamorpho­sé. Un siècle plus tard, au moment où Poutine, nouveau tsar, ne cesse d’enterrer Lénine, et où Trump assassine chaque j

- FRANÇOIS REYNAERT

L’Europe dominait le monde depuis près de cent ans. Rendue folle par la fièvre nationalis­te, elle s’est suicidée en déclenchan­t la Première Guerre mondiale. En ce sens, 1914 peut être considérée comme l’année qui clôt le e siècle. Et 1917 celle qui ouvre le e. En mars, le tsar abdique, entraînant son empire dans sa chute et ouvrant la voie à une Russie nouvelle. En avril, à New York, un certain Marcel Duchamp tente d’exposer un urinoir qui fait la révolution dans l’art. A Washington, le président Wilson, en poussant les EtatsUnis dans le conflit qui déchire le Vieux Continent, rompt avec l’isolationn­isme qui était la règle depuis l’indépendan­ce de son pays. Le front français, durant ce même printemps, est secoué par une vague de mutineries qui laissera des traces durables dans la mémoire politique, et l’arrière, par d’importante­s grèves de femmes qui, pour la première fois, osent réclamer l’égalité salariale avec les hommes. En novembre, enfin, le gouverneme­nt britanniqu­e, par la voix de lord Balfour, son ministre des A aires étrangères, s’engage dans une déclaratio­n écrite en faveur de l’installati­on d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine et fait ainsi un premier pas vers la création future d’Israël. Il n’a fallu que douze mois pour qu’un monde nouveau soit en gestation. C’est la raison pour laquelle, à l’aube de ce centenaire, nous avons décidé de consacrer à cette année cruciale le riche dossier qui suit.

Bien évidemment, rien n’est encore joué. En prenant le pouvoir lors de la révolution d’Octobre, Lénine et les bolcheviks ont réussi à étou er les espoirs démocratiq­ues nés de la révolution de février. Ils ont aussi déclenché une guerre civile qu’ils auraient pu perdre. A la fin de cette année, le sort des armes reste partout incertain. Soulagés par la défection russe, les Allemands peuvent concentrer leurs forces sur le front occidental et croire encore leur victoire possible.

Les lignes de force qui se dessinent cette année-là ne suivront pas une trajectoir­e rectiligne. En 1919, déjà lassés des embrouille­s européenne­s, les Américains retournent à leur isolationn­isme. Il faudra une autre guerre pour qu’ils s’engagent vraiment sur la scène du monde. Et le rôle essentiel des femmes dans la guerre ne débouchera pas partout sur l’égalité souhaitée: contrairem­ent à la plupart des autres Européenne­s, les Françaises n’obtiennent le droit de vote qu’en 1944.

Il est néanmoins fascinant, vous le constatere­z vousmêmes, de redécouvri­r tout ce que l’année 1917 a bousculé, tout ce qu’elle a métamorpho­sé, tout ce qu’elle a engendré. Cette période, cent ans plus tard, est-elle en train de se refermer ? Au moment où Poutine, nouveau tsar, ne cesse d’enterrer Lénine, où Trump assassine chaque jour un peu plus l’idéalisme qui était la marque de Wilson, où renaît partout la peste du nationalis­me, dont on aurait pu croire que la boucherie de la Grande Guerre nous avait guéris, on peut se poser la question. Le moment est donc particuliè­rement choisi pour commencer par comprendre les circonstan­ces qui l’ont fait naître.

De gauche à droite : Lénine, scène du film « Octobre » de Sergueï Eisenstein (1927), Georges Clemenceau, couturière­s en grève, en mai 1917 à Paris.

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