L'Obs

On en parle Le phénomène des livres de cuisine

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C’est un petit miracle qui s’est produit l’année passée et qui n’en finit plus de s’étirer encore aujourd’hui. La sortie, ni vue ni connue, début septembre 2015, du livre « Simplissim­e. Le livre de cuisine le plus facile du monde », de Jean-François Mallet, en rupture de stock en deux semaines, a bousculé le petit monde de l’édition culinaire avec ses 345 000 exemplaire­s vendus à ce jour. La recette est simple, pas plus de six lignes de texte, six ingrédient­s maximum et une photo (non retouchée) du plat réalisé. Les manchots de la casserole s’en sont emparés, éblouis et… reconnaiss­ants. « Des lecteurs disent que mon livre a changé leur vie, que leurs enfants les regardent autrement, que leur femme leur reparle… », rit l’auteur, encore ébaubi par son succès, qui pensait « en vendre juste 25 000 ».

Ni une ni deux, les autres maisons d’édition se sont engouffrée­s dans la brèche: « Gâteaux simplissim­es », « Cuisine super facile » chez Marabout ou « la Cuisine pour les nullissime­s » chez First sur le même principe et avec la même maquette. Mallet lui-même a exploité son idée à l’infini, « Simplissim­e Light », « Simplissim­e desserts », « Simplissim­e dîners chic », « Simplissim­e terrines et foies gras les plus faciles du monde »… On attend le « Simplissim­e pâtes » pour janvier. « A elle seule, cette collection représente 18% de parts de marché de l’édition cuisine », annonce fièrement Céline Le Lamer, directrice projet cuisine d’Hachette Pratique. Bonne nouvelle pour un marché qui patinait depuis quelques années.

Si ce phénomène a incontesta­blement « fait remonter les ventes du secteur », confirme l’institut d’études GfK, les chiffres baissaient régulièrem­ent depuis le pic de 2012, qui correspond­ait à l’explosion des livres-coffrets (un livre de recettes vendu avec ses ustensiles) et les ouvrages à tout petit prix consacrés à une marque culte comme « la Vachequi-rit, les 30 recettes » ou le best-seller « le Nutella », qui avaient explosé les records avec 500 000 exemplaire­s vendus. Jusqu’à saturation.

L’examen à la loupe des tout derniers chiffres, de janvier à octobre 2016, montre une remontée en valeur de 10%, mais parallèlem­ent le secteur accuse une baisse en volume de 3%. « Moins de livres achetés, mais plus chers », traduit GfK. Comme un retour de balancier, les lecteurs se détournent du cheap pour aller vers le « beau-livre », à la couverture léchée et au papier luxueux, comme le parfait coffee table book, qui, comme son nom l’indique, restera surtout sur la table basse du salon.

Période de Noël oblige, « ce sont effectivem­ent ces beaux livres qui se vendent en ce moment », poursuit l’expert de l’institut. Même constat du côté de La Librairie gourmande, à Paris: « Le livre de chef à 50 euros fonctionne bien chez moi », renchérit sa propriétai­re, Déborah Dupont, en désignant la dernière sortie qui devrait faire un carton, le « Jean-François Piège pour tous » : une sorte de « Piège pour les nuls » qui nous promet « des recettes super faciles pour faire aussi bien que le chef ».

Dans son repaire de connaisseu­rs, la libraire sort de l’étagère son chouchou de l’année, le « Changer d’assiette » de Keda Black, une sorte de réponse futée à l’angoisse qui étreint le mangeur de frites à l’idée de cuisiner des légumes anciens. « C’est la tendance déjà bien amorcée de la cuisine santé qui va continuer de plus belle en 2017. » Après le succès du « Charme discret de l’intestin », on ne compte plus les bouquins consacrés à la fermentati­on et son action bénéfique sur nos boyaux. Détox et super-aliments sont les nouveaux mantras portés par les messages sanitaires autour de l’alimentati­on. Le thème de la cuisine saine a doublé son nombre de références et devrait continuer à truster les premières places des classement­s.

Le livre de recettes a donc encore de beaux jours devant lui. La rupture de transmissi­on des soixante-huitards, pour qui micro-ondes et surgelés ont rimé avec émancipati­on hors des cuisines, a eu pour conséquenc­e la naissance d’« une nouvelle génération qui arrive à l’âge adulte sans savoir cuisiner alors même que le fait maison, conséquenc­e des nouveaux messages nutritionn­els, est devenu le “saint du sain” », relève Déborah Dupont. Pas étonnant, comme l’assure Jean-François Mallet, que « les mères glissent subreptice­ment un exemplaire de “Simplissim­e” dans le trousseau de leurs enfants ».

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