Décryptage Le triomphe des bobos réacs
Ils ont piqué aux bobos de gauche leur panoplie vestimentaire rock’n’roll, leurs quartiers et cette apparence cool. Un emballage sexy pour mieux faire passer des idées qui le sont moins. Revue de détails
On les croyait finis, terminés, lessivés par la loi Travail et la Manif pour tous, laminés par le Brexit, la Trumpisation du monde et la France fillonisée. On les pensait en voie d’extermination, dynamités par le grand remplacement en cours. Comme d’habitude, on s’est trompé : non, les bobos n’ont pas disparu. Ils sont encore là. Ils a chent toujours sans complexe tous les attributs extérieurs de leur boboïté (petit rappel : le bobo est humaniste et veut le bien, il est convivial et aime ses voisins, il est écolo-bio et fait du vélo). Mais quelque chose a changé en eux. On sent, dès qu’on gratte un peu, une cavité dans la pensée, une inanité dans le discours, un goure sans forme, ni fond : le bobo nouveau est creux comme un radis. Parce qu’une fois le vernis Bisounours de leur bien-pensance ôté, la vérité toute nue apparaît : le bobo a muté. Magie de Noël oblige, il est devenu réac. Ou bien c’est le réac qui est devenu bobo. Allez savoir. Comme le suggère dans « le Figaro Magazine » Alexandre Devecchio, un de leurs fidèles représentants, « les anciens sont devenus modernes et les modernes deviennent anciens ». Par un habile tour de passe-passe, ils ont réussi à s’approprier en les détournant tous les codes du cool : comme les bobos gauchos, les néo-réacs sont startuppers, journalistes, créatifs, réalisateurs, fé mini st es,écolo, décroissants et anti consuméristes. Ils écrivent des livres, donnent des conférences, créent des boutiques de fringues et des tee-shirts à logo. Mais gare aux déconvenues : les bobos réacs sont la partie émergée de l’iceberg conservateur, l’arbre de Noël qui cache la forêt des amertumes, les vessies scintillantes qu’on prend pour des lanternes. En voici trois spécimens.
LA IT GIRL NÉO PURITAINE
Elle a lu tout Simone de Beauvoir, est incollable sur la théorie du genre et l’intertextualité. Femme de sa génération, elle milite pour l’émancipation des femmes et la liberté sexuelle. Enfin, c’est ce qu’elle prétend. Car sous le blouson de cuir et la mèche rebelle palpite un petit coeur de Marie-Chantal encore vierge de tout péché véniel. Prenons Thérèse Hargot : avec ses tops imprimés léopard, son carré platine, ses minijupes, on lui donnerait le bon Dieu sans confession quand elle s’émeut, yeux pervenche levés au ciel, que, « désormais, des enfants de 7 ans regardent du porno où les femmes sont traitées comme des objets ». La jeune femme de 32 ans, qui se revendique philosophe (elle a un master de philosophie) et sexologue (elle a un master en sciences de la famille et de la sexualité), milite pour un « nouveau féminisme », se déclare en faveur de l’« identité heureuse de l’homme et de la femme » et contre l’« égalitarisme qui a fragilisé les hommes dans leur virilité ». Du « Grand Journal » aux prestigieuses conférences TEDx, en passant par France Télévisions, tout le monde s’arrache cette féministe nouveau genre qui prône les méthodes naturelles contre « la contraception hormonale, […] l’un des plus grands scandales du XXe siècle ».
Et aussi, dans sa version plus catho : la jeune journaliste Eugénie Bastié, cofondatrice de la revue « Limite » (Editions du Cerf ), égérie du FigaroVox et amie de Natacha Polony. Fausse punk (en Perfecto), fausse wesh (elle cite du Booba dans le texte), mais vraie Zemmour en jupon (taille haute). Plaide pour une révolution conservatrice : « Le Vieux Monde est de retour, monsieur Attali. »
LE FACHO COOL OU FACHIPSTER
Ils sont aux fachos ce que les hipsters sont aux bobos. La frange branchée de la fachoïtude, toujours la pointe de la tendance streetwear (identitaire). Leur truc, c’est l’humour. L’autodérision. La classe. Pour faire rire avec des thèmes très « LOL », comme la préférence nationale et la défense des « racines » de la France. La marque de tee-shirts Babtou Solide Certifié s’adresse ainsi, selon son fondateur Loïk Le Priol (membre du GUD mis en examen pour violences aggravées), aux « jeunes costauds français qui revendiquent leur identité ». Le babtou (verlan de « toubab », terme utilisé en Afrique de l’Ouest pour désigner les Blancs), se doit d’être viril pour ne pas ressembler au babtou fragile, « qui suçotte de la vapeur au goût barbe à papa dans des tiges électroniques en choisissant son nouveau slim, du bout de la laisse que tient sa gonzesse ». Un programme costaud qui a séduit la fine fleur « people » de l’extrême droite, du général Piquemal au très sportif Julien Rochedy, l’ancien président du Front national de la Jeunesse (FNJ), mais aussi David et Gaël, les deux Calaisiens qui ont braqué un fusil sur des migrants en janvier dernier. Tordant, on vous dit.
Et aussi, dans sa version plus éclectique, L’Atelier Parigot, un concept store au graphisme soigné situé dans le 18e arrondissement parisien, qui vend des sweats et tee-shirts siglés d’un rat noir (l’emblème du GUD avec messages « au dixième degré » : « Impossible n’est pas français », « Génération Jehanne ! », dessin de guillotine avec logo « Made in France »… Une boutique soutenue par Electre, la militante nationaliste et actrice porno, mais aussi Paris Fierté, la section locale de Génération identitaire, Vincent Vauclin (La Dissidence française) ou Logan Djian (membre du GUD, mis en examen pour violences aggravées).
L’ÉCOLO CATHO CONSERVATEUR
Il fait cuire son pain dans une « map » (machine à pain), milite pour le bio à la cantine, vit sans emballage et sans déchet dans une zone péri-urbaine populaire et/ou sensible. Il a le poil long, le pull qui gratte, les lunettes en écaille et aime débattre au coin du feu des thèses du penseur révolutionnaire italien Antonio Gramsci, s’enflamme pour Bernanos, glisse avec ferveur le nom d’André Gorz et sort le joker George Orwell pour mettre tout le monde d’accord. Comme le jeune couple Gaultier Bès et Marianne Durano, deux des cofondateurs de la revue « Limite », les écolocatho-conservateurs sont babas cool, décroissants, locavores, véganes, antiOGM, mais aussi anti-mariage gay, antiGPA et anti-contraception. Leur revue – éclectique dans la pensée (de Régis Debray à Yannick Jadot, en passant par l’eurosceptique Jacques Sapir), mais rigide dans l’idéologie – oeuvre à la di usion du concept de l’« écologie intégrale » popularisée par le pape François, qui entend lutter pour la protection de l’environnement dans tous ses aspects, y compris moraux.
Et aussi, dans sa version plus catholibérale : les « trublions du goût » Michel et Augustin, fondateurs des très branchés biscuits éponymes, pro-Fillon assumés et accusés par « Libération » d’être plus cookie-friendly que gay-friendly.