L'Obs

L’ingénieur 2.0 du sketch

Sa chaîne YouTube Le Rire jaune est l’une des plus regardées en France. Son manga, qui vient d’être publié, aussi. Portrait de Kevin Tran, drôle d’entreprene­ur

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En fait, c’est complèteme­nt le bordel chez moi, et ça me saoule de ranger, donc on se voit à 9 heures au Starbucks. » Le texto, envoyé à 1 heure du matin, est comme lui : sans fioriture, direct, efficace. Le post-ado de 25 ans qui débarque le lendemain, carrure imposante, jogging et sac à dos, est une star. Sa chaîne YouTube, Le Rire jaune, créée en 2012 pour prouver qu’un Asiatique « peut faire rire sans accent », est l’une des plus regardées en France (derrière Norman, Cyprien, Squeezie), avec 3,4 millions d’abonnés. Le manga (1) qu’il vient de publier a été imprimé à… 230 000 exemplaire­s. Ces chiffres en feraient disjoncter plus d’un. Pas lui. « Je sais qu’avec mon nom je peux vendre n’importe quoi, dit-il en souriant poliment. Mais ça ne m’intéresse pas. Je veux construire du solide. » Du solide comme lui, ingénieur élevé dans la valeur travail par une mère chinoise échappée du communisme et un père vietnamien rescapé de la guerre. Et s’il est tombé dans la vidéo de chambre, c’est seulement « après [sa] prépa, une promesse faite à [sa] mère ». Et avec méthode. Ses mots pour expliquer ses vidéos « Vivre en colocation », « Tinder », où il déroule sa vie d’étudiant parisien, sont surprenant­s : « Analyse de la concurrenc­e », « stratégie marketing », « un sketch, c’est comme un exercice de maths. Je le construis, et à la fin, faut que tout le monde comprenne ».

Kevin dit aussi qu’il aime transmettr­e les valeurs positives. Il aime moins en revanche qu’on lui rappelle la polémique de l’été autour d’une photo où il pose avec le sulfureux Dieudonné, condamné pour antisémiti­sme. Prise à la sortie d’un spectacle de l’humoriste et publiée sur Instagram, elle est assortie d’un message de soutien : « Pour moi, artistique­ment, Dieudonné reste l’un des meilleurs. » « Je fais pas de politique », botte-t-il en touche. En 2012, il avait choisi Sarkozy « parce qu’il était déjà président. J’avais 18 ans, je n’y comprenais rien ». Il ne sait pas s’il ira voter en mai. Il a autre chose en tête. Sa future marque de tee-shirts, décorés de ses dessins, qu’il va créer avec d’autres associés tout aussi jeunes. Les trois autres tomes de son manga, que la maison d’édition lui a déjà commandés. Sur la couverture, il y a un autre nom écrit en aussi gros que le sien. Celui de Fanny Antigny, étudiante en anglais : « C’était une fan, elle m’avait envoyé un dessin super, je l’ai appelée, on a bossé ensemble sur le manga. »

La vie est simple au pays des youtubeurs. Ses excopains de prépa ont tous un CDI en entreprise. Lui est libre. Ses vidéos lui rapportent largement de quoi vivre, grâce aux pubs qui les précèdent. On lui demande combien. Il rosit. On tente un chiffre : 7 000, 8 000 euros par mois? Il étouffe un rire poli. « Plus. » On ne saura pas. De toute façon, il n’a pas le temps de dépenser cet argent. « Ma mère voudrait que j’achète un appart. » Ah oui, parce que Kevin habite encore chez ses parents, à Bastille. « Je m’y sens bien, si je pars, ce sera pour m’installer dans le même immeuble. » Dans sa chambre d’ado, qu’on a quand même fini par voir, on a repéré au milieu du foutoir et des projecteur­s un panier et des posters de basket, des montagnes de pandas en peluche « offerts par les abonnés »… mais aussi ces deux livres : « Bonheur d’entreprend­re » et « Comment une bonne idée peut se transforme­r en une grande entreprise ».

(1) « Ki&Hi. Tome 1 : Deux Frères », éd. Michel Lafon.

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Le jeune vidéaste a débuté en 2012. En 2014, lors des Web Comedy Awards, il recevait le prix de la Révélation Orangina.

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