L'Obs

LE FILS DE CLEMENCEAU ?

Manuel Valls n’a jamais caché son admiration pour le “Tigre”. Comme lui, il se veut profondéme­nt républicai­n, et partisan de l’ordre

- Par SERGE RAFFY

Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, en visite au Musée Clemenceau­de Lattre, à Mouilleron­en-Pareds, en novembre 2013.

I l arbore l’image de Georges Clemenceau comme un talisman. L’ancien président du Conseil est son père spirituel, son aïeul politique, son guide, le Grand Timonier de son action. Manuel Valls, sans jamais tomber dans l’idolâtrie, est un disciple du « Tigre ». Entre le « Père la Victoire » de 1917-1918, l’homme à la poigne de fer, intransige­ant patriote, et l’ancien Premier ministre de François Hollande, un siècle plus tard, les ressemblan­ces sont légion. Comme son maître à penser, Manuel Valls est profondéme­nt républicai­n, partisan d’un ordre sans faiblesse. Pour comprendre cet attachemen­t profond à l’un des héros de la guerre de 1914-1918, il faut remonter à la source de l’engagement du jeune Valls, né espagnol, à Barcelone, en 1962. Fils d’une grande famille bourgeoise catalane, d’un père artiste, célèbre peintre émigré à Paris en 1949, il a été bercé durant son adolescenc­e par les récits de la guerre civile, les horreurs partagées par tous les camps, massacres de curés par les anarchiste­s, férocité des phalangist­es, double jeu des communiste­s attendant les ordres de Moscou. De cette mémoire aux plaies sanglantes, Manuel Valls a tiré une leçon pour sa propre philosophi­e politique : le désordre engendre toujours la violence. Et l’injustice pour les plus faibles. Il est donc faroucheme­nt partisan de l’ordre comme pare-feu contre la barbarie. L’ordre, d’abord pour les plus démunis.

Quand il était ministre de l’Intérieur, il avait installé en bonne place, dans son bureau, un grand portrait de Georges Clemenceau. Le 24 novembre 2013, à l’occasion de l’anniversai­re de la mort du grand homme, l’ancien maire d’Evry lui a rendu un hommage vibrant, devant sa tombe vendéenne. « Je retiens, avant tout, l’attachemen­t viscéral à la République, à la fois expression de la souveraine­té de la nation et de la souveraine­té de l’individu, a-t-il défendu. Car la République, c’est l’ordre […]. L’ordre sans lequel aucun projet de société n’est viable. » A l’instar de son mentor, le disciple se plaint des caricature­s qu’on fait aujourd’hui de lui. Clemenceau n’était-il pas déjà attaqué sur sa gauche par ceux qui préféraien­t le confort douillet des idées à l’inconfort de gouverner? Au début du xxe siècle, Clemenceau se disait partisan de la liberté du marché et défendait la propriété. Il était, au fond, très rocardien, tout comme Valls. Il critiquait vertement son ami Jaurès, qu’il traitait d’utopiste. « On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes y sont au futur. » Vieux débat entre les pragmatiqu­es et les rêveurs.

Clemenceau-Valls, même combat ? Sans aucun doute. Celui que les frondeurs traitent de « Sarkozy de gauche », parfois en oubliant même le mot « gauche », vante pourtant régulièrem­ent l’importance de rester près du peuple. Avant de s’investir en politique, Clemenceau n’était-il pas médecin des pauvres? Manuel Valls n’a-t-il pas été député-maire d’Evry, grande ville de banlieue dans laquelle il a été confronté aux problèmes de la France moderne, précarisat­ion des travailleu­rs, chômage de masse, communauta­risme, perte de repères, lien social en berne ? En 1917, la France était en guerre. En 2017, elle l’est aussi. La nature asymétriqu­e du terrorisme islamique, pour le candidat à la primaire, ne change rien à l’affaire. L’heure, répète son entourage, est aux hommes énergiques, courageux, déterminés, inflexible­s. Sur le modèle de Clemenceau. Pour l’ex-Premier ministre, une forme d’autoportra­it.

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