POUR POUTINE, UNE RÉVOLUTION À OUBLIER
Alors qu’il célèbre les Romanov ou Staline, qu’il considère comme un héros patriotique, le numéro un russe va tout faire pour minimiser le centenaire de 1917
Le 7 novembre, les communistes commémorent la prise de Saint-Pétersbourg par les bolcheviks. Mais du côté institutionnel, ni cérémonie officielle, ni parade militaire, ni discours ne sont prévus en Russie en souvenir de la révolution.
Ah, comme il l’agace, cet anniversaire ! Pour Vladimir Poutine, c’est l’irritant petit bout de Scotch du capitaine Haddock. Impossible de s’en débarrasser. Comment diable célébrer a minima le centenaire de 1917, sans donner au peuple l’impression de renier l’histoire ? Car dans la Russie de Poutine, la période révolutionnaire n’a vraiment plus la cote. Le mausolée qui abrite le corps de Lénine a beau être toujours adossé aux murailles du Kremlin, le fondateur du parti bolchevique fait désormais quasiment figure, à Moscou, d’antihéros : « Au mieux, c’est un faible, au pire un traître de la nation, tout comme Gorbatchev », souligne Alexandre Sumpf, maître de conférences à l’université de Strasbourg, spécialiste de la Russie (1). Pis : la rumeur selon laquelle le père de la Révolution aurait été un espion allemand au service du Reich gagne du terrain, tandis que Staline, au contraire, s’installe tranquillement au panthéon des grands hommes du pays aux côtés d’Ivan le Terrible et de Pierre le Grand. « Auréolé de la victoire contre le nazisme, il est perçu comme un supermanager, un conquérant qui a agrandi l’empire, et dont les millions de victimes sont reléguées au rang de dégâts collatéraux », insiste Sumpf. Dans un climat de guerre froide, le révisionnisme historique bat son plein, nourri par une méfiance généralisée vis-à-vis des universitaires occidentaux, perçus comme des ennemis de la Russie. Ainsi, l’historien Vladimir Medinski, le controversé ministre de la Culture, a-t-il soutenu sa thèse sur les « Défauts d’objectivité des savants étrangers dans l’étude de l’histoire russe des xve-xviie siècles ». C’est lui qui est chargé des commémorations de 1917…
Et dire qu’en 2013 le quadricentenaire de la naissance de la dynastie des Romanov, le clan impérial assassiné par les bolcheviks en 1918, et élevé au rang de martyr par les hautes autorités de l’Eglise orthodoxe devant des milliers de fidèles, avait donné lieu à des fastes inouïs... Là, c’est l’inverse. « Le Kremlin a désormais une certaine vision de l’histoire construite autour des valeurs suprêmes de la Russie que les révolutions de 1917, que ce soit celle de février ou d’octobre, ont d’abord fragilisée puis démolie. Ces événements ne seront pas célébrés ici en tant que tels, mais présentés comme des leçons de ce qu’il faut impérativement éviter », analyse Dmitri Trenin, qui dirige le think tank Carnegie à Moscou. Dans un contexte où la réécriture de l’histoire est devenue un sport national, le sujet, forcément, a donné lieu à d’intenses conciliabules. Selon Alexandre Sumpf, « il y a eu beaucoup d’hésitations, et finalement, le pouvoir a tranché : c’est non ». Pas de grande cérémonie officielle, pas de parades militaires, pas de feu d’artifice géant, comme pour le 9 mai, qui célèbre la victoire des Alliés sur le nazisme. Ni Poutine ni son Premier ministre, Dmitri Medvedev, n’ont prévu de prononcer de discours. Pas une ligne budgétaire n’a été dédiée à l’événement au niveau fédéral. Certes, l’Association des Historiens russes, qui regroupe des universitaires en phase avec la ligne officielle du Kremlin, va bien organiser une série de colloques sur le sujet. « Tant que les manifestations penchent du côté de la muséification, pas de problème, résume Alexandre Sumpf. Ce que Poutine veut éviter, c’est un mouvement populaire, politique. » Sans doute les communistes, aujourd’hui neutralisés et inféodés au parti du pouvoir Russie unie, organiseront-ils quelques manifestations bien encadrées avec la bienveillance du Kremlin. Rien de plus : « Même eux sont bien obligés de reconnaître que l’expérience a échoué, que la naissance d’une ère nouvelle et la promesse de plus de justice sociale n’ont pas été au rendez-vous », affirme Dmitri Trenin. Difficile de lui donner tort.