L'Obs

Chérèque, un grand monsieur

- (1) « Si on me cherche », Albin Michel, 2008. CAROLE BARJON

Le courage. C’est, avant toute chose, la première des qualités qui vient à l’esprit quand on évoque la personnali­té de François Chérèque. C’est, du reste, la raison pour laquelle je lui avais téléphoné un jour de novembre 2007. Je l’avais vu à la télévision se faire traiter, une fois de plus, de « social-traître » ou de

« vendu », et se faire bousculer, une fois de plus, dans une manifestat­ion par les gros bras de la CGT. Simplement parce qu’il avait le grand tort d’être réformiste, et de l’assumer. Y compris physiqueme­nt. Il n’était pas joueur de rugby pour rien.

Je ne le connaissai­s pas personnell­ement. Je lui ai proposé de raconter et d’expliquer dans un livre (1) les coulisses des grandes réformes sociales, de donner son sentiment sur les hommes politiques de gauche et de droite qu’il avait été amené à rencontrer.

Il a joué le jeu avec sa franchise habituelle. Et avec un incroyable art du récit. On connaissai­t son léger zézaiement quand il était invité à la télévision ou à la radio, on connaissai­t moins son talent de conteur. Il était drôle, vif, percutant. Et tellement humain. Rien n’échappait à son regard au laser. De ses rendez-vous avec les responsabl­es politiques français, il retenait tout: les mimiques et le cynisme d’un Nicolas Sarkozy, le détail des menus au restaurant, l’esquive permanente d’un François Hollande, alors premier secrétaire du PS, la duplicité d’un François Fillon, du temps où il était ministre des Affaires sociales de Raffarin, ou les mensonges de Ségolène Royal.

Chez lui, l’anecdote, toujours savoureuse, n’était jamais gratuite. Elle servait avant tout à illustrer le fond de ce qu’il voulait démontrer, en dénonçant au passage la fréquente hypocrisie des discours politiques… et syndicaux. Elle venait à l’appui de son combat pour une plus grande justice sociale. Le combat de toute sa vie jusqu’à la fin. Chérèque détestait par-dessus tout la mauvaise foi et avait une haute idée de la morale comme de l’amoralité. Après son dernier mandat à la tête de la CFDT, il avait promis de ne pas s’engager en politique « pour ne pas gêner la centrale ». Il a tenu parole, même s’il lui en a coûté.

Je l’ai revu pour la dernière fois en 2014. Il dirigeait alors le think tank Terra Nova et il se battait contre ce fichu cancer. Si l’expression n’était pas galvaudée pour avoir été trop souvent utilisée à tort, elle s’appliquera­it d’abord à lui: François Chérèque était un grand monsieur. Au revoir, François. Là où tu es maintenant, on continuera de te chercher.

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