LE CANDIDAT, L’ARGENT ET LES FANTASMES
Emmanuel Macron doit trouver une vingtaine de millions d’euros pour financer sa campagne. Alors qu’il n’est affilié à aucun parti, de quels soutiens dispose-t-il? Enquête
Le candidat a profité d’un voyage à New York (ici à la NY University, le 5 décembre) pour lever des fonds.
Pour les socialistes, les vrais, la trahison ne souffre aucun doute : Emmanuel Macron est le candidat des richards, l’agent des rentiers, le faux nez des banquiers. Pour preuve, les réunions très discrètes organisées chaque semaine par ses amis. Des gens fortunés y viennent écouter le candidat à la présidentielle pendant une heure et, s’ils ont été séduits, laissent un chèque en partant. C’est la réunion Tupperware transposée à la vie politique. Le 4 décembre, Emmanuel Macron était en campagne à New York. Une trentaine de convives l’attendaient au restaurant Benoît d’Alain Ducasse, près de la 5e Avenue. Les invitations, lancées par Christine Dutreil, ex-cadre du groupe Wendel et épouse de Renaud Dutreil (ancien ministre de Jacques Chirac), étaient explicites :
« La démocratie n’a pas de prix, mais elle a un coût. » Depuis, trois autres « réunions d’appartement » ont suivi, une à New York et deux à Paris.
Voilà donc qu’Emmanuel Macron s’adonne au fundraising, pratique bien connue des Républicains. Mais à gauche, c’est une première. En s’abstenant de concourir à la primaire socialiste, l’ancien ministre se prive des subsides du parti et se condamne au pèlerinage. « Partout où je passe, je rencontre des donateurs », dit-il. Le procédé donne des vapeurs au PS. Pour Aurélie Filippetti, compagne et soutien d’Arnaud Montebourg, Macron est « le candidat du grand capitalisme financier ». « Au nom de la transparence », Benoît Hamon réclame, lui, que, « au-delà de 3 000 euros, le nom des donateurs soit rendu public. Nous, on le fera… même si on n’en a pas encore reçu de ces montants-là ».
Emmanuel Macron ne l’ignore pas. Son appartenance à l’inspection des Finances, puis son passage à la banque Rothschild, alimentent tous les fantasmes : celui d’un homme nanti poussé, voire manipulé, par de puissants protecteurs. Au premier rang du meeting de la porte de Versailles, le 10 décembre à Paris, deux jeunes militants arborant des tee-shirts « En Marche ! » hurlaient, en sautillant : « Nous aussi, on veut être riches comme toi, Macron ! » Dans la geste macronienne, la figure du jeune prodige a laissé la place à celle du golden boy. Ainsi, durant notre enquête, nous sommes-nous entendu dire, y compris par ses soutiens, que l’ancien ministre vivrait de sa « fortune personnelle » –ce qui s’est révélé faux (voir p. 35) – et qu’il allait injecter « des centaines de milliers d’euros dans sa campagne » – ce qui est tout bonnement interdit par le Code électoral (1).
L’équation financière d’Emmanuel Macron n’est pas simple. En décembre, le mouvement En Marche ! a quitté ses 300mètres carrés de la tour Montparnasse, devenus trop exigus, pour 1 000 mètres carrés, rue de l’Abbé-Groult, dans le 15e arrondissement. Avec ce déménagement, le loyer a plus que doublé, à 20 000 euros par mois. Dépense à laquelle il faut ajouter l’organisation des meetings. Celui de la porte de Versailles, avec ses 15000 participants, a impressionné. Le contraste était saisissant avec les 2 500 personnes péniblement réunies par le PS et ses alliés, une semaine auparavant. Les responsables d’En Marche ! l’assurent, ils ont pourtant dépensé trois fois moins que leur rival socialiste. A peine plus de 400 000 euros, en rognant sur toutes les dépenses. Quant aux trois grandes réunions précédentes, à Strasbourg, au Mans et à Montpellier, la facture n’aurait pas dépassé 300000 euros pour la totalité. Mais la campagne n’en est qu’à ses débuts.
Une course à l’élection suprême, pour un candidat qui vise le second tour, coûte une vingtaine de millions d’euros. Depuis le lancement d’En Marche !, Emmanuel Macron s’est constitué un trésor de guerre de 3,9 millions. L’essentiel a été obtenu grâce à des dons sur son site internet, le reste, lors des fameuses réunions privées. Entre Noël et le jour de l’An, Emmanuel Macron a aussi bouclé un dossier de prêt qu’il s’apprête à déposer auprès de plusieurs banques. Il demande 8 millions d’euros et envisage de gager le seul bien détenu par son couple : la précieuse maison de vacances du Touquet, dont son épouse a hérité et dont il a financé les travaux. Preuve, s’il en était besoin, de son immense confiance dans ses chances de réussite… Car s’il n’obtient pas 5% des voix, l’Etat ne lui remboursera rien. Et il aura tout perdu, élection et maison.
“MACRON EST LE CANDIDAT DU BUSINESS, IL A ÉTÉ ADOUBÉ.” Paul Boury, lobbyiste et conseiller du CAC 40
En attendant, l’ancien ministre de l’Economie a déployé un dispositif qui n’est pas sans rappeler les campagnes américaines. Dans l’ombre, plusieurs personnes s’activent sans relâche à lever des fonds auprès de particuliers. A commencer par Christian Dargnat, ancien patron de BNP-Paribas Asset Management, qui s’y emploie à plein temps. Il est aidé par Bernard Mourad, ami personnel d’« Emmanuel » et ancien bras droit du milliardaire Patrick Drahi. Fondateur de la French Touch Conference et de plusieurs start-up, Gäel Duval se charge, lui, d’attirer les nouveaux riches de la netéconomie. Quant à Jean-François Rial, propriétaire de Voyageurs du Monde (tour-opérateur), il rameute les orphelins de Michel Rocard, affirmant retrouver en Emmanuel Macron la « pensée claire et limpide » de l’apôtre de la deuxième gauche. A Londres, ville où la communauté d’expatriés français est très politisée, c’est le très secret banquier Benoît d’Angelin – treize années chez Lehman Brothers – qui s’occupe des collectes. Et à Lyon, Macron peut compter sur Bruno Bonnell, ancien pape des jeux vidéo (Infogrames et Atari), reconverti dans la robotique.
Plus inattendu encore, le candidat d’En Marche! vient de recevoir le soutien de poids de Patricia Balme, sarkozyste de la première heure et cofondatrice du Premier Cercle des donateurs de l’UMP. A l’issue de la primaire de la droite, elle a rallié Macron avec son fils, Sacha, qui vise l’investiture du mouvement pour les prochaines législatives. Elle confie : « L’an passé, j’ai tout donné pour Sarko. Mais en 2017, ce sera tout pour Macron. Je suis en train de répertorier les gens du Premier Cercle qui, comme moi, ne se retrouvent pas dans la droite filloniste. » Pour le lobbyiste Paul Boury, proche de Hollande et conseiller d’une partie du CAC 40, « Macron est le candidat du business, il a été adoubé par la communauté économico-financière. Les PDG se comportent comme au casino : ils misent sur plusieurs candidats qui épousent leurs idées libérales ». A l’image d’Augustin Paluel-Marmont, le copropriétaire de la marque Michel et Augustin (biscuits, yaourts…), qui soutient Macron et… Fillon.
Pour ses adversaires, la démonstration est faite. Le camp Macron est infiltré par les forces de l’argent. « Il baigne en plein conflit d’intérêts, accuse même Benoît Hamon. Il y a un lien direct entre sa loi croissance et les dons qu’il reçoit. La défiscalisation des actions gratuites qu’il a décidée a permis à certains de se gaver. Aujourd’hui, ils lui rendent la pareille. » L’entourage d’Emmanuel Macron le sait, ces puissants soutiens pourraient bien devenir son talon d’Achille. Sylvain Fort, son porte-parole, veut relativiser. « Nous comptons aujourd’hui 14 000 donateurs. Et seulement 220 ont versé plus de 5 000 euros… Ils sont noyés dans la masse. » Il l’assure aussi, Emmanuel Macron a toujours pris soin d’éviter le mélange des genres. Quand il a lancé En Marche !, alors qu’il était encore ministre de l’Economie, il refusait les dons de personnes en relations d’affaires avec Bercy. Il avait également diffusé un guide de bonne conduite auprès de ses troupes. Obligation, pour les volontaires à En Marche ! membres de son cabinet, de travailler pour le mouvement en dehors des heures de bureau. Afin que rien, jamais, ne puisse leur être reproché.
Ces précautions étant prises, Macron, dans le fond, a choisi d’assumer. Son passé de banquier et ses relations chez Rothschild. N’hésitant pas à inviter trois figures de la banque à l’inauguration de ses premiers locaux. En juin, en réponse à une polémique visant son patrimoine, il s’était justifié de son parcours : « Sur le terrain idéologique, certains me reprochent d’avoir pu bien gagner ma vie pendant quelques années. Mais qu’ils sachent que je n’ai pas de comptes à leur rendre : je suis certes né dans un environnement provincial favorisé, mais pas dans les milieux de la haute finance, de la haute administration, ni de la haute politique. J’y suis parvenu par mon travail. »
Pour les partisans de Macron, son passage dans la banque d’affaires serait même un atout. Il lui aurait servi de révélateur, l’aidant à mieux comprendre la vie réelle et la « sphère économique ». « Etre banquier, ce n’est pas que conseiller de vilains patrons pour qu’à la fin ce soient les salariés qui paient les pots cassés. Il y a aussi des opérations qui créent de l’activité et des emplois », défend son ami, Bernard Mourad, quinze ans chez Morgan Stanley. « Qu’est-ce qu’on préfère, un type, comme Emmanuel, qui a travaillé dans le privé et y a gagné de l’argent, ou tous ceux qui n’ont jamais vécu que de leurs mandats d’élus ? » attaque un autre intime, l’économiste Marc Ferracci. Dans son viseur, les apparatchiks, de gauche comme de droite, qui voudraient faire de l’argent de Macron, le sien et celui de ses partisans, un thème de campagne. Cet argument suffira-t-il à éteindre les fantasmes? On parierait le contraire…