L'Obs

Vertige de l’amour

Chez Grégoire Delacourt, comme autrefois chez Flaubert, Emma, femme mariée, s’ennuie en province jusqu’au jour où elle rencontre la passion

- VÉRONIQUE CASSARIN-GRAND

DANSER AU BORD DE L’ABÎME, PAR GRÉGOIRE DELACOURT, JC LATTÈS, 364 P., 19 EUROS.

Depuis 2011, Grégoire Delacourt publie chaque année un roman, comme s’il voulait rattraper le temps passé à rédiger des slogans publicitai­res, son premier métier. On se souvient de l’énorme succès de « la Liste de mes envies », adapté au cinéma et au théâtre, et du battage médiatique autour du procès intenté à l’auteur de « la Première Chose qu’on regarde » par Scarlett Johansson pour atteinte à la vie privée. Le millésime 2017 a du corps et de jolies jambes, comme Emma, dans la peau de laquelle Grégoire Delacourt s’est glissé (il avait fait de même avec la mercière de « la Liste de mes envies »). A 40 ans, Emma a suivi la voie que son milieu et son éducation lui avaient tracée. Elle a épousé Olivier, un jeune amateur de grands crus, devenu concession­naire automobile. Ils ont eu trois enfants. Olivier a eu un cancer, mais il s’en est sorti, et la vie a repris son cours. Fidèle à son Nord natal, l’auteur situe l’action à Bondues, à quelques kilomètres de Lille, où Emma avoue s’être un peu assoupie « dans le ressac de la médiocrité ». Sa rencontre avec Alexandre, journalist­e de « la Voix du Nord », dans une brasserie de Lille, va brutalemen­t ressuscite­r les désirs enfouis sous le tapis moelleux de la routine conjugale. Cet homme, à ce moment de sa vie, c’est le « vertige » qu’elle attendait depuis toujours, l’amour absolu qui va la faire s’envoler vers des cieux toujours bleus. Comme la chèvre de M. Seguin, dont des extraits jalonnent le récit, Emma brûle de se débarrasse­r de cette « maudite longe qui vous écorche le cou » pour goûter à la liberté, ignorant le prix qu’elle finit toujours par réclamer et qu’Emma devra payer, rubis sur l’ongle. « J’affirme qu’elle est brève, cette gesticulat­ion sur la terre, d’une brièveté assassine, et qu’elle ne mérite pas d’être encore tronquée par les mésamours, les colères ou les frayeurs : c’est justement parce qu’on n’a pas le temps qu’on doit aimer, désespérém­ent. Et puis il faut bien pardonner et être pardonné si l’on veut vivre. » C’est la lumineuse leçon d’humanité que nous donne Grégoire Delacourt.

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