La vie rêvée de Neruda
NERUDA, PAR PABLO LARRAÍN. COMÉDIE DRAMATIQUE CHILIENNE, AVEC LUIS GNECCO, GAEL GARCÍA BERNAL, MERCEDES MORÁN (1H48).
Pablo Neruda s’habillait-il en prêtre pour se rendre au bordel ? Sa fantaisie le conduisait-elle à se travestir en Lawrence d’Arabie ? Désignait-il Picasso comme « le peintre bigleux » ? Ses biographes démêleront le vrai du faux tels que l’extraordinaire film de Pablo Larraín les associe en un ensemble qui tient du puzzle, de l’évocation historique, du thriller, du western et de bien d’autres choses encore, mais qui s’impose avant tout comme un portrait d’une virtuosité folle… et d’une vérité probablement plus forte que celle offerte par les études les plus savantes. Ce portrait, on le comprend peu à peu, est en réalité dessiné par Neruda lui-même. S’y associent donc le sexe, le crime et la violence, soit tout ce qu’il aimait, à en croire son épouse dans le film. Et aussi la poésie, il va de soi.
1948. Le pouvoir chilien traque les communistes. Au premier rang, le plus en vue d’entre eux est Pablo Neruda. Qui se cache, s’enfuit, se réfugie en Argentine, bientôt à Paris. A ses trousses, un jeune policier du nom d’Oscar Peluchonneau, grand amateur de polars, comme celui qu’il poursuit. « Voilà que commence une formidable traque », prévient la voix off, celle du flic (Gael García Bernal), mais ses mots sont ceux que lui prête Neruda. C’est ainsi, Oscar Peluchonneau est lui aussi une création de Neruda. Compliqué ? En apparence seulement, car à l’écran c’est simplement vertigineux. Et brillantissime. Où apparaît au détour d’un plan un commandant de camp de prisonniers nommé Pinochet. Où Neruda demande à son chauffeur de tourner autour du palais présidentiel et assure que, « quand il a mangé des escargots au dîner, le président rêve de Neruda ». Mégalo, vaniteux, insupportable, stalinien indécrottable, le poète ? Oui, sans doute, mais génial, indispensable, metteur en scène de sa propre vie, acharné à dessiner de lui-même une image propre à gagner l’admiration de tous, pour l’éternité. Sa personne n’a rien de bien emballant, pareille à tant d’autres, étonnamment pareille même : ce sont ses mots qui font sa grandeur. Un travesti de bordel l’explique à un Peluchonneau conquis par l’éclat de celui qu’il traque, tel qu’il se reflète dans les yeux des autres : dans ceux de Mme Neruda, par exemple, sans illusion sur l’homme qu’elle aime. Et les scènes qui opposent Mercedes Morán (photo) à Luis Gnecco (dans le rôle de Neruda, photo) comptent parmi les plus fortes d’un film aux allures de tourbillon. Un film à voir plutôt deux fois qu’une, c’est peut-être son unique défaut.