Israël
Obama quitte la scène internationale en dénonçant la colonisation à quelques semaines de la conférence de Paris. Pour Yossi Beilin, la paix est encore possible
Entretien avec Yossi Beilin, artisan des accords d’Oslo
Le « lâchage » d’Israël par son allié américain au Conseil de Sécurité vous surprend-il? Non car on prévoyait qu’Obama profiterait de ses derniers jours au pouvoir pour faire quelque chose. Il a choisi l’option la plus consensuelle au sein de la communauté internationale : la dénonciation de la colonisation. Vu son absence de résultats sur le conflit israélo-palestinien, il était obligé de faire un geste avant de quitter la scène. La résolution adoptée grâce à cette abstention américaine change-t-elle la donne? A la différence des textes précédents, celui-ci prévoit un contrôle tous les trois mois par le secrétariat général de l’ONU de l’avancée de la colonisation. A partir du moment où Israël sait que son action en Cisjordanie fera l’objet d’un rapport régulier au Conseil de Sécurité, il sera plus prudent. C’est un frein important pour les décisionnaires israéliens, y compris psychologique. Cela ne signifie pas que la colonisation s’arrêtera, mais cela la rend encore plus problématique. Même si l’administration Trump lui donnait son feu vert, il y a désormais un contrepoids. Benyamin Netanyahou a réagi très vivement, promettant de sanctionner les pays signataires de la résolution… La veille, il était parvenu à convaincre les Egyptiens de retirer un texte identique qu’ils s’apprêtaient à présenter. Durant vingt-quatre heures, il s’est vu comme le maître du jeu au Moyen-Orient. Il pensait sincèrement que les intérêts partagés avec plusieurs membres du Conseil de Sécurité le protégeraient de ce genre de mésaventure. Son monde s’est écroulé… Il s’est alors comporté de façon immature et hystérique. Lui qui est pourtant loin d’être un imbécile n’avait aucune stratégie. A qui pensait-il faire peur? Espérait-il que le Conseil de Sécurité annule sa résolution parce qu’il a piqué une colère ? L’idée qui prévalait en Israël selon laquelle la question palestinienne n’intéresse plus personne s’est donc révélée fausse? C’est ce que l’on appelle la pensée magique. Ce n’est pas en répétant que l’occupation n’en est pas une et que le peuple juif est revenu sur sa terre historique que le monde va changer sa vision des choses. La droite croit que l’arrivée de Trump marque la fin du conflit ? Mais Trump lui-même n’a sans doute aucune idée de la façon dont il va agir! Certes, ce qui se passe ailleurs dans la région est sans doute bien pire : c’est le principal argument de la droite. Mais il n’y a pas d’autre exemple d’occupation d’un peuple par un autre peuple qui dure depuis cinquante ans. Même si l’on admettait qu’Israël se comporte parfaitement en Cisjordanie, si la communauté internationale considère que c’est inacceptable, c’est une réalité avec laquelle il faut composer. Est-ce un coup d’arrêt pour la diplomatie israélienne qui, ces dernières années, n’a cessé d’engranger de nouvelles alliances, y compris dans le monde arabe? Netanyahou a réussi à tisser une coalition d’intérêts avec les grands pays sunnites
Ancien proche de Shimon Peres, plusieurs fois ministre dans des gouvernements de gauche, Yossi Beilin est l’architecte des accords d’Oslo de 1993, puis de l’initiative de Genève, dix ans plus tard, qui prévoyait un plan de partage détaillé de la Cisjordanie.
autour de la menace iranienne. Il n’a pas compris que même si les relations avec les dirigeants arabes peuvent paraître excellentes en petit comité, s’il ne résout pas le problème palestinien, il n’aura jamais les opinions publiques, et qu’à la fin il perdra aussi les dirigeants. J’ai moi-même vécu cette dichotomie lorsque je dirigeais la diplomatie israélienne. Nous étions euphoriques car les premiers contacts étaient idylliques – avec le Qatar par exemple –, mais, une fois dans la rue, nous étions pris à partie par la population, y compris physiquement. Beaucoup en Israël estiment que l’Etat hébreu est entré dans la fin de l’Histoire, qu’il a accompli son destin divin de lumière des nations… Je ne veux pas utiliser le mot « miracle » car je ne suis pas croyant, mais Israël est sans aucun doute un modèle pour beaucoup de pays. Selon tous les critères économiques et sociaux, la situation n’a jamais été aussi bonne. Nous pouvons être fiers de notre démocratie : malgré les guerres et les menaces, elle n’a jamais été prise en défaut. Mais nous approchons du point où nous devrons décider si nous voulons être un Etat juif ou démocratique, car nous serons bientôt une minorité sur le territoire que nous contrôlons. Dans quel cadre négocier? On entend partout que les accords d’Oslo, dont vous êtes à l’origine, sont morts et enterrés… L’objectif principal d’Oslo était la reconnaissance de l’OLP par Israël et la mise en place de l’Autorité palestinienne ; il a été atteint. Nous avons mis en oeuvre l’idée développée par Menahem Begin en 1978 de créer une autonomie palestinienne de cinq ans, puis, à l’issue de ce délai, de discuter d’un accord définitif. Begin espérait que ce schéma continuerait éternellement, faute de trouver un terrain d’entente. A mon grand regret, c’est ce qu’il se passe aujourd’hui. J’avais tenté de convaincre Rabin d’aller directement à un accord définitif, sans période de transition. Il n’a pas voulu, pas plus que les Palestiniens d’ailleurs. La présence juive en Cisjordanie semble avoir atteint sa masse critique : imaginer faire partir les colons est-il réaliste? Faire des colonies le principal obstacle à une solution à deux Etats est une erreur. Leur démantèlement n’est pas le corollaire à la création d’un Etat palestinien. On peut tout à fait imaginer de proposer aux habitants des implantations de vivre sous souveraineté palestinienne, tout en restant citoyens israéliens. Ceux qui refuseront partiront et seront indemnisés. En 1995, avec Mahmoud Abbas, nous étions d’accord là-dessus. Une solution à deux Etats vous semble donc encore possible? On n’y arrivera pas si l’on cherche une séparation totale entre deux pays : le territoire à partager est minuscule, et les deux peuples vivent en fait dans une imbrication intime. Ce que je propose, c’est une confédération. Elle peut permettre de surmonter tous les obstacles, y compris le statut de Jérusalem et des colonies. Je pense à un système modulaire dans lequel les deux parties s’accorderaient sur les aspects de leur souveraineté qu’elles mettent en commun. La sécurité par exemple. Les Palestiniens n’accepteront jamais une présence israélienne militaire définitive dans la vallée du Jourdain. D’un autre côté, une Palestine démilitarisée créerait un appel d’air pour les groupes djihadistes. Mais, dans le cadre d’une confédération, une coopération militaire sous la direction israélienne deviendrait possible. De toute façon, quelle est l’alternative ? Un seul Etat pour deux peuples ? Je suis sioniste : je m’y refuse. Si la confédération est la solution miracle, pourquoi n’est-elle jamais évoquée? Parce que c’est un modèle qui n’existe nulle part et que cela semble trop théorique ! Les deux seules confédérations « officielles » – la Suisse et le Canada – sont en fait des fédérations. Le seul exemple connu, c’est l’Union européenne, mais elle ne s’appelle pas comme ça. Mon objectif est de présenter au monde un mode d’emploi immédiatement applicable, comme nous l’avons fait pour les accords d’Oslo ou l’initiative de Genève. Si vous n’arrivez pas avec un projet détaillant ce que l’on fait avec l’eau, l’urbanisme, Jérusalem, on vous dit « c’est très bien, c’est très joli », mais ça reste une idée en l’air. Dans le futur, si quelqu’un veut faire la paix, les problèmes techniques seront déjà résolus. C’est encore lointain dans l’esprit des gens, mais j’y travaille avec des Palestiniens. La semaine prochaine se tiendra à Paris une conférence internationale sur le conflit israélo-palestinien. Que peut-on en attendre? Concrètement, pas grand-chose. L’idée de départ du Quai-d’Orsay était de se servir des conclusions de la conférence pour en faire la base d’une résolution à l’ONU. Or la résolution a déjà été votée, et le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a fait un discours pour rappeler les paramètres d’une résolution du conflit. Sans compter que les deux principaux intéressés, Israël et les Palestiniens, seront absents, ce qui est un peu ridicule. Mais il est important que le sujet ne disparaisse pas des écrans radars, que la communauté internationale ne nous abandonne pas à notre sort. C’est une réponse à ceux, en Israël, qui s’imaginent que la question palestinienne n’intéresse plus personne et que la colonisation n’a désormais plus de frein. De ce point de vue, la conférence de Paris est importante.