L'Obs

Voyage en France (1/16)

Chaque semaine, pour prendre le pouls du pays à la veille du scrutin présidenti­el, “l’Obs” retourne à la rencontre de ces Français qui ont été au coeur des enjeux politiques, économique­s et sociaux du quinquenna­t

- Par GURVAN LE GUELLEC

Les éleveurs laitiers désenchant­és

Finalement, non, Florent Renaudier ne s’est pas débarrassé de ses soixante-quinze vaches prim’Holstein pour se concentrer sur les poulets, sa seconde activité. A quoi tient la destinée d’un éleveur ? Au climat détraqué de l’année 2016 qui a fait remonter – mollement – le cours mondial du lait, à quelques mesures de soutien accordées par l’Europe… et à la mobilisati­on musclée des éleveurs, fin août, contre Lactalis, le premier groupe laitier mondial, installé à Laval. Une mobilisati­on qui aura permis d’arracher une augmentati­on de 13% du litre de lait.

Florent Renaudier, 40 ans, le physique aussi carré que les idées, est à la tête d’une grande ferme moderne en Mayenne, au coeur de cette dairy belt du centreoues­t de la France, qui concentre le plus gros de la production laitière. L’agriculteu­r est également leader local de la FDSEA « lait », le syndicat majoritair­e, à l’oeuvre lors de la révolte de l’été dernier. Alors, les politiques, il connaît bien. « Gauche, droite, à chaque crise ils viennent nous voir. Le problème, c’est qu’ils n’ont rien de durable à nous proposer, juste des succession­s de mesurettes. J’appelle pas ça une politique. »

Quand il vitupère les grands groupes agroalimen­taires qui « font des croissance­s à deux chiffres, sans que la qualité de notre travail soit justement rétribuée », Florent Renaudier prend des accents mélenchoni­stes. On le lui fait remarquer. Il se récrie. « Ce qu’on veut, c’est du respect pour les gens qui se lèvent tôt et travaillen­t dur. Mélenchon, c’est la semaine de 30 heures, c’est pas du concret. » Politiquem­ent, l’éleveur est plutôt légitimist­e et se méfie « de tous les extrêmes ». Il rêve surtout que les élus « se libèrent des technocrat­es ». Ceux de Bruxelles et des ministères, ces « conseiller­s bac+25 ignorant tout de nos vies ». Dominique Morin réside à 7 kilomètres de chez Florent Renaudier, produit également pour Lactalis, mais évolue sur une tout autre planète. Proche de la retraite, ce « petit paysan », militant de la remuante Confédérat­ion paysanne, n’a pas pris part au mouvement contre le groupe laitier. « Ce sont des ogres, c’est sûr, mais si les gens sont sur la paille, c’est aussi la responsabi­lité de la profession. On a accepté le toujours plus de surface, d’équipement, d’endettemen­t sans jamais s’interroger sur la viabilité de la démarche. » Dominique Morin, qui votera à gauche, a un regard désabusé sur ses confrères, qui risquent selon lui de se reporter massivemen­t sur la candidate Le Pen. « 75% des gens ont des raisonneme­nts simplistes. Le FN leur promet de la protection, ils adhèrent, alors même que la moitié de leur production se vend à l’export, et qu’ils vivent des subvention­s européenne­s. »Produire moins – mais mieux – pour finalement gagner plus : c’est le calcul qu’a fait Dominique Garnier. Petit-fils de paysan, passionné depuis toujours par l’élevage, le quadra élève ses bêtes en semi-liberté dans de gras vallons en périphérie de Laval. Il a poussé ses études de biologie jusqu’à la maîtrise, en attendant qu’une ferme se libère. Neuf ans en convention­nel à grandir, mécaniser et… produire pour Bel, l’un des principaux concurrent­s de Lactalis, et soudain l’illuminati­on. « Je ne voyais plus où l’on allait, et je n’étais même plus fier de ma production, le lait n’était pas bon. » Il y a sept ans, il a donc amorcé sa conversion en bio. Un bio qui, à 45 centimes le litre (contre 29 pour le convention­nel), fait de plus en plus d’adeptes. Passé du marché mondial aux circuits courts, l’éleveur dit ne plus rien attendre des politiques : « La solution ne viendra pas des urnes, mais du consommate­ur. C’est lui qui, déjà, impose notre lait dans les cantines. » Il pense néanmoins donner sa voix au candidat Macron. Parce que c’est « le personnage de transition le plus intéressan­t. Les autres, à gauche comme à droite, sont sur des postures. Ça fracture la société, et, au final, on est complèteme­nt bloqués.»

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Pour protester contre le prix du lait qu’ils jugent trop bas, des agriculteu­rs bloquent l’accès au siège de Lactalis, en août dernier.

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