L'Obs

Le regard

Philosophe, essayiste, spécialist­e de l’islam et des évolutions contempora­ines de la vie spirituell­e.

- Par ABDENNOUR BIDAR

d’Abdennour Bidar. Le dessin de Wiaz

Quel bonheur de n’être pas candidat à l’élection présidenti­elle! Imaginons ce qu’on ferait une fois élu sans s’abaisser au rituel de la fausse promesse ni être tenu par la sempiterne­lle question du réaliste et du réalisable. Moi, président, quelles seront mes priorités ? D’abord, nous ouvrirons avec mon équipe un grand chantier qui bouleverse­ra notre rapport au travail. Nous réduirons le temps de travail à vingt heures hebdomadai­res, avec la liberté pour chacun de travailler plus pour gagner plus et la garantie d’un salaire de 2000 euros net par mois. La possibilit­é sera aussi offerte de percevoir un revenu citoyen d’un même montant, sur présentati­on d’un projet d’activité d’intérêt général et/ou d’accompliss­ement personnel : engagement associatif, création d’entreprise, développem­ent d’un artisanat ou d’un art, reprise d’études, voyage initiatiqu­e, etc. ; cette activité libre n’aura pas nécessaire­ment pour vocation de produire de quoi vivre mais permettra un engagement qui ait du sens. Cette mesure résorbera totalement le chômage, dès lors que tous ceux qui ne trouvent pas d’emploi salarié seront accompagné­s dans la constructi­on d’un tel projet d’accompliss­ement personnel (PAP). Enfin, les entreprise­s privées et les administra­tions publiques seront notées annuelleme­nt par leurs employés selon plusieurs critères : bien-être au travail, niveau de la responsabi­lisation individuel­le, qualité des relations humaines, importance du travail collaborat­if, etc. L’Etat publiera cette notation, sanctionne­ra les mauvais élèves et récompense­ra les bons.

Sur le plan politique, nous donnerons enfin les moyens d’exister à la démocratie participat­ive, restée pour l’heure une abstractio­n pour trois raisons. Un, les gens passent leur vie à travailler et il ne leur reste que trop peu de temps pour prendre en charge les affaires de la cité. Deux, il faut pour chacune (éducation, environnem­ent, etc.) des compétence­s que tous ne possèdent pas. Trois, le pouvoir est accaparé par les élus. Pour y remédier, on comptera, d’une part, sur la réduction du temps de travail à vingt heures et, d’autre part, sur la création dans chaque mairie d’un espace de la décision citoyenne : un Parlement populaire, une agora qui sera la seconde maison des citoyens ; ils y seront formés par des experts, et ce Parlement aura le pouvoir d’accepter ou de refuser selon la loi de la majorité toutes les initiative­s proposées par les élus ou par n’importe quel résident français. Rien ne pourra plus être entrepris sans ce vote direct qui devra impliquer les deux tiers au moins des habitants. Démocratie directe locale et totale.

Révolution­ner ainsi le travail et la démocratie, c’est remplacer deux servitudes par plus de liberté. Fin de la soumission à ce salariat qui donne juste à la plupart d’entre nous de quoi rembourser leurs crédits. Fin de la subjugatio­n du peuple par une caste politique toute-puissante. Le sentiment qui domine aujourd’hui dans nos sociétés est, à juste titre, celui d’être dépossédé de son existence. Ce que je propose ici, ce sont donc les leviers d’une « réappropri­ation de soi » – conçue non pas sur un mode individual­iste mais engagée dans l’exercice collectif de la citoyennet­é. Utopique? Mais quel autre projet de civilisati­on digne des droits de l’homme que de donner ainsi à chacun le pouvoir de créer sa vie personnell­e, et à tous ensemble de cocréer le monde, au lieu de le subir ?

“RÉVOLUTION­NER LE TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE, C’EST REMPLACER DEUX SERVITUDES PAR PLUS DE LIBERTÉ.”

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