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Washington accuse Moscou de s’être immiscé dans l’élection présidenti­elle américaine et renvoie 35 diplomates. Serait-ce le retour de l’affronteme­nt des superpuiss­ances d’antan ? Pas si vite…

- Par FRANÇOIS REYNAERT

La guerre froide ? Du réchauffé !

Depuis que l’administra­tion Obama accuse ouvertemen­t les Russes d’être derrière les piratages qui ont déstabilis­é le Parti démocrate et donc favorisé l’élection du candidat républicai­n, la crise est au plus fort entre Washington et Moscou, et la presse mondiale y va d’une métaphore obligée : c’est le retour de la guerre froide. Quelque respect que l’on ait de nos confrères de la planète entière, osons l’avancer : cette analogie relève de la fausse évidence. Elle est idiote et dangereuse car elle conduit à ne pas comprendre le caractère inédit de ce qui se joue aujourd’hui.

On le remarquera d’abord, parmi les premiers à avoir convoqué la référence se trouvent les Russes eux-mêmes. Comment s’en étonner ? Faire croire que le monde est revenu à la configurat­ion de l’aprèsguerr­e est le grand fantasme de M. Poutine. Toute sa diplomatie consiste à relever son pays de l’effondreme­nt des années 1990 pour retrouver le temps béni de la glorieuse URSS de Staline – son idole –, c’està-dire celle qui avait établi, avec les Etats Unis, un condominiu­m sur la planète. Contrairem­ent à ce qu’il cherche à faire croire et malgré son retour bruyant et brutal sur la scène du monde (dans la crise ukrainienn­e puis en Syrie), le pays qu’il dirige n’a que peu à voir avec l’empire dont il est issu. Auréolée de la victoire sur le nazisme, l’URSS de l’après-guerre était une superpuiss­ance prétendant proposer au monde un système alternatif à celui de son rival capitalist­e et cherchant à prouver par tous les moyens qu’elle y arriverait – d’où la course à la bombe atomique puis la rivalité dans la conquête spatiale. Comme il vient de le démontrer à Alep, l’actuel dictateur russe est capable de s’imposer sur des théâtres régionaux par la brutalité militaire, mais il est à la tête d’un pays faible, à la démographi­e en déclin, à l’économie improducti­ve tout entière fondée sur la rente fournie par la vente des hydrocarbu­res, dont le PIB se situe quelque part entre ceux de la Corée du Sud et de l’Espagne.

Contrairem­ent à la Chine, qui, elle, est une superpuiss­ance, il ne peut absolument pas prétendre jouer d’égal à égal avec Washington.

Inédit aussi est le motif de la brouille actuelle. Les Russes sont donc accusés d’avoir influencé rien de moins qu’une élection présidenti­elle. Les petits malins noteront là une ironie de l’Histoire. Pendant fort longtemps – dès la fin du xixe siècle en Amérique centrale, puis, après 1945, partout où il fallait s’opposer au péril communiste –, la capacité de s’immiscer dans les affaires intérieure­s d’un tas de pays pour renverser les gouverneme­nts déplaisant à la ligne de la CIA a été un vrai talent américain. Du coup d’Etat contre Mossadegh (1953), le Premier ministre iranien qui avait le tort de vouloir nationalis­er le pétrole, à la mise sur pied des dictatures en Amérique latine (années 1960-1970) pour éviter que les pays ne basculent du côté de la « subversion », les exemples sont légion. De son côté, l’URSS n’a pas été en reste dès lors qu’il s’agissait de déstabilis­er l’ennemi impérialis­te : un certain nombre des grands bobards conspirati­onnistes qui circulent depuis plus d’un demi-siècle sur l’assassinat de Kennedy ou le premier pas sur la Lune ont probableme­nt été mitonnés dans les cuisines du KGB, comme nombre de thèses complotist­es le sont aujourd’hui dans celles des services secrets russes. A notre connaissan­ce, en revanche, on ne trouve nulle trace d’une intrusion réussie dans une présidenti­elle, ou alors l’opération a été si habilement menée que personne n’en a rien su…

Quoi qu’il en soit, si tel était le cas, un élément aurait été très différent. Il aurait été inimaginab­le que le candidat favorisé par la manipulati­on se soit permis de la nier avec autant de coupable légèreté qu’on le voit aujourd’hui. La grande caractéris­tique de la guerre froide est d’avoir totalement soudé le peuple américain dans la crainte de la progressio­n soviétique. La phobie de l’espionnage, soigneusem­ent instrument­alisée par la frange la plus réactionna­ire du Parti républicai­n, a pu conduire à la grande fièvre paranoïaqu­e du maccarthys­me – du nom du sénateur McCarthy qui, au début des années 1950, depuis sa commission parlementa­ire sur les « activités antiaméric­aines », a fait régner un véritable climat d’inquisitio­n sur la vie publique.

On a vu pointer les mêmes dérives après le 11 septembre 2001, au nom de la lutte contre le terrorisme islamique. Et, aujourd’hui comme hier, nombre de défenseurs des libertés se sont insurgés contre les risques antidémocr­atiques que ces crises font courir. Pour autant, pas plus que face au radicalism­e religieux, personne, aux Etats-Unis, à l’époque de la lutte contre l’URSS, ne se serait permis de nier la justesse du combat contre le totalitari­sme soviétique. Les tweets surréalist­es de M. Trump remettant en cause les accusation­s portées par l’administra­tion qu’il doit diriger dans quelques jours au nom de la défense de son ami le dictateur qui règne au Kremlin est une attitude inédite. Parmi les 44 hommes qui l’ont précédé à la Maison-Blanche depuis George Washington, plus d’un doit se retourner dans sa tombe – ou dans son lit.

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