L'Obs

L’opinion

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU

de Matthieu Croissande­au

Qu’est-ce que le réformisme? A l’aube d’une année cruciale pour l’avenir de la gauche, la question se pose à tous les candidats qui préfèrent les petits pas du progrès aux grands bonds en avant de la révolution. On ne fait rêver personne avec la réforme, c’est sûr, en particulie­r dans une famille politique qui peine à se libérer de son surmoi marxiste depuis plus de cent ans ! Et pourtant, il est temps que celle-ci sorte de la culpabilit­é qui la ronge et comprenne qu’on n’est pas réformiste par renoncemen­t, mais par ambition: celle d’adapter sans cesse nos modèles, nos lois, nos règles communes aux évolutions de la société sans verser, à gauche, dans le mythe du Grand Soir, ou, à droite, dans celui de la liquidatio­n. Comme l’écrivait Jean Daniel il y a quelques années, le réformisme n’empêche pas la radicalité, bien au contraire. Il doit même prendre garde à ne pas sombrer dans le relativism­e désenchant­é. Mais pour transforme­r le réel, il faut d’abord le comprendre, afin de rechercher des compromis acceptable­s qui ne soient pas de lâches compromiss­ions.

« Compromis acceptable », justement, c’était l’expression consacrée d’un grand syndicalis­te qui vient de nous quitter. François Chérèque était un authentiqu­e réformiste. Comme Nicole Notat avant lui, l’ancien patron de la CFDT a essuyé de nombreuses critiques et parfois même des attaques inacceptab­les. Dans la grande tradition de la centrale cédétiste, il a parfois dérouté les siens, en les emmenant un peu plus loin et plus vite que ces derniers ne l’imaginaien­t. Mais il l’a toujours fait au nom de ce qu’il croyait bon pour l’intérêt général.

On n’est pas à l’abri des doutes quand on est réformiste. Chérèque savait les surmonter avec courage et conviction. « Je ne me résignerai jamais à l’échec d’une négociatio­n, confiait-il dans nos colonnes après la réforme des retraites du gouverneme­nt Raffarin. Certains ont choisi de déserter les discussion­s et préféré le blocage. C’est contraire à notre démarche réformiste. Vous savez, l’angoisse d’un syndicalis­te qui négocie, c’est de toujours se dire: est-ce qu’on est allé assez loin? » Pour avoir jugé les textes qu’il signait en fonction de leur contenu et non de leur étiquette politique, le syndicalis­te qui fit un court passage au PS au début des années 1980 entretenai­t des relations pour le moins compliquée­s avec ses anciens camarades. « C’est quand même curieux de voir qu’ils ont des idées avant d’être au gouverneme­nt et après, ajoutait-il, mais qu’ils ne font pas les réformes nécessaire­s quand ils y sont ! »

Ce jugement sans concession, formulé il y a plus d’une décennie, peut-il s’appliquer au quinquenna­t de François Hollande ? Comparé à ceux de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy, le bilan ne mérite évidemment pas le procès en indignité que lui intentent la droite et les frondeurs de gauche. Des réformes sont passées. Le problème est qu’elles n’ont pas toutes encore porté leurs fruits, ni même parfois été expliquées. Or, le réformisme ne peut faire l’économie d’une pédagogie ouverte et transparen­te. Et, s’il faut du courage pour réformer, il en faut encore davantage pour convaincre qu’un compromis acceptable nécessite parfois que chacun y perde un peu pour que tout le monde y gagne. Quand la gauche gouverne à bas bruit, elle ne récolte que l’impopulari­té et le sentiment d’impuissanc­e.

“POUR TRANSFORME­R LE RÉEL, IL FAUT D’ABORD LE COMPRENDRE.”

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