Primaire
Ses camarades du PS pensaient le connaître par coeur. Ils s’avouent surpris par la progression de l’ancien patron des jeunes socialistes, ex-ministre puis frondeur, aujourd’hui candidat à la primaire de la gauche. Itinéraire d’un outsider qui compte bien
La mutation de Hamon
“BENOÎT A PRIS DE LA MATURITÉ, ET SON PARCOURS EST COHÉRENT.” MARTINE AUBRY (ci-dessus, en 2011)
Il était stressé. Ses filles lui ont préparé de jolis dessins pour l’encourager. « Tu es le meilleur mon papa », ou « Ratatouille-les ». C’est muni de ses porte-bonheur que Benoît Hamon est arrivé, ce jeudi 8 décembre, sur le plateau de « l’Emission politique », sur France2. A la sortie, il se confie à « l’Obs » : « Je suis content d’avoir passé l’épreuve, mais critique envers ma performance. » Les réactions autour de lui sont enthousiastes. Sa campagne pour la primaire de la gauche vient-elle de connaître un tournant? En tout cas, malgré une audience moyenne, sa prestation télévisée produit son petit effet. Depuis, on l’arrête dans la rue pour le féliciter. Sur le terrain, il décolle.
Au lendemain de l’émission, les dirigeants socialistes n’avaient qu’une question en tête : « Mais qu’est-ce qu’il a fait pour autant progresser? » Ils ne l’ont pas vu venir. Pourtant, à l’inverse des Français, qui l’ont découvert cet hiver, eux connaissent Benoît Hamon depuis très longtemps. Le premier acte militant de ce Breton remonte à 1985, quand il accroche un badge « Touche pas à mon pote » au revers de son caban. « J’étais dans un lycée privé catholique, on était minoritaires. Je me souviens de ma fierté à porter ce badge. » L’année suivante, en première année à la fac de Brest, c’est le mouvement étudiant contre la loi Devaquet, la mort de Malik Oussekine. Un drame qui le marquera à jamais. La fraternité des manifestations aussi. Ceux qui le repèrent à l’époque sont rocardiens. Benoît Hamon grandit donc dans le sillage de Michel Rocard : « C’étaient des années fortes, joyeuses, de bastons politiques. A Brest, on faisait des collectes pour les ouvriers, on organisait des soirées contre les dictatures. On était des cathos de gauche. Le choc pour moi, c’est ma première réunion à Paris. J’avais pris des responsabilités, on était montés à la capitale pour une assemblée de Forums. Et là, je vois que les militants sont habillés comme les bourges de chez nous ! »
Rocard contre Mitterrand, deuxième contre première gauche, c’est dans ce contexte qu’il pousse dans le PS. « On nous apprenait que le mitterrandisme dans sa duplicité, c’était Fabius : à gauche en congrès et à droite dans les actes. Nous, les rocardiens, on était catalogués la droite du PS. On cultivait la haine du gauchisme ou du mitterrandisme cynique. » Hamon devient président du Mouvement des Jeunes socialistes (MJS), « l’école du vice », comme le désignait Mitterrand. Bagarreur, ayant besoin d’un clan, Hamon s’épanouit dans cette ambiance. D’où cette réputation d’homme d’appareil qu’il traîne encore aujourd’hui. « Il est plus tacticien que stratège », commente un ami de l’époque. Hamon obtient l’autonomie du MJS vis-à-vis du PS. Et aide les proches de Julien Dray et de Jean-Luc Mélenchon à gagner l’Unef, le syndicat étudiant jusque-là dirigé par les amis de Jean-Christophe Cambadélis. « J’ai rompu le pacte jospino-rocardien contre la direction de notre courant », se rappelle Hamon. Première rupture politique. Première émancipation. Lui n’a pas l’impression d’avoir changé, juste « d’avoir pensé par moi-même, alors qu’un courant politique t’offre un catéchisme ».
LA RUPTURE DU 21 AVRIL
En 1995, Benoît Hamon fait la campagne présidentielle de Lionel Jospin, puis intègre deux ans plus tard le cabinet de Martine Aubry, nommée ministre de l’Emploi et de la Solidarité après la dissolution ratée de Chirac. Entre elle et lui, c’est le début d’une longue histoire. « De ces années-là, je garde une relation personnelle forte avec Martine. Elle était impressionnante, un bourreau de travail. Avec elle, j’apprends à gérer le stress et à bosser vite. Aujourd’hui, on n’est pas d’accord sur tout, mais on garde un respect et une affection réciproques. » Martine Aubry avait repéré Benoît Hamon quand il était au MJS. Aujourd’hui encore, elle l’apprécie. « Ce qui m’a toujours frappée chez Benoît, c’est qu’il comprend bien la société. Nous avons très bien travaillé ensemble, et en plus, il a de l’humour, ne se prend pas au sérieux. Il a pris de la maturité, et son parcours est cohérent », confie la maire de Lille.
Les années Jospin se terminent tragiquement. Le Pen est au second tour de la présidentielle de 2002, le peuple, abandonné par la gauche. Benoît Hamon pense que le PS a failli. Son ami Pascal Cherki analyse : « Sa principale qualité, c’est qu’il se remet en cause. Benoît s’est construit sur cette rupture du 21 avril. Jusque-là, il était dans le sérail, une jeune pousse prometteuse dans l’appareil socialiste. Mais il considère que cette défaite majeure n’est pas un accident. Cet événement est la matrice de son identité politique. »
Pendant dix ans, Hamon construit la gauche du PS, sous François Hollande puis avec Martine Aubry qui le nommera porte-parole du parti en 2008. Que retient-il de ce long compagnonnage avec celui qui est aujourd’hui président de la République? Il réfléchit et assène : « Je retiens de Hollande que je ne le connais pas. Je l’ai vu, ai eu des entretiens agréables avec lui. Je ne me suis jamais senti méprisé. Mais je ne le connais pas. » C’est pourtant Hollande qui le nomme en mai 2012 ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire. Benoît Hamon fait voter la loi Consommation, mais observe, surtout depuis Bercy, les renoncements, notamment celui sur cette loi bancaire qu’il défend.
“MOMENT DE GRISERIE”
Obscur ministre sous Ayrault, Hamon devient grand sous Valls, qu’il a poussé à Matignon. A 46 ans, il devient ministre de l’Education nationale, numéro trois du gouvernement. Hollande et Valls lui ont fait un beau cadeau. Trop beau ? « J’ai eu un petit moment de griserie », reconnaît-il aujourd’hui. Dès sa nomination, il a rendez-vous avec François Hollande et Manuel Valls. « Alors, qu’est-ce qu’on fait sur les rythmes scolaires ? » lui demandent les deux têtes de l’exécutif. « La question qu’ils me posent est une question ouverte », se souvient Benoît Hamon. Le nouveau ministre répond d’emblée : « On va continuer la réforme. » En discutant avec les élus récalcitrants, en obtenant des assouplissements dans le décret sur les rythmes et un fonds budgétaire renforcé pour les communes, Hamon apaise la grogne contre cette réforme emblématique du quinquennat. Première victoire. Mais le nouveau ministre a une autre bombe à désamorcer. Un haut fonctionnaire qui a travaillé avec lui témoigne : « Vincent Peillon lui laisse entendre lors de la passation de pouvoir que “les 60000postes, c’est mort”. Très vite, Hamon en discute avec le président et le Premier ministre. Il sent ses interlocuteurs un peu louvoyants. » « Je refuse d’emblée. Je ne suis pas là pour être le fossoyeur des engagements en faveur de la jeunesse », affirme Hamon. La bataille dure jusqu’au coup de téléphone d’Emmanuel Macron, à l’époque secrétaire général adjoint de l’Elysée, un dimanche de juillet 2014 à 23 heures : « C’est bon, tu as tes postes », lui lâche-t-il.
Mais l’ambiance se dégrade rapidement. Et l’enthousiasme des débuts, « qui a en partie altéré mon jugement », laisse la place à un constat : la politique menée n’est pas la sienne.
ADIEUX AU SOCIAL-LIBÉRALISME
Hamon s’en souvient : « Avant l’été, des réunions laissent entrevoir la validation de la ligne libérale et l’arrivée de nouveaux textes qui vont remettre en cause des droits existants comme le Code du Travail. » Arnaud Montebourg lui propose de venir le 24 août chez lui à Frangy « pour marquer notre désaccord ». Hamon accepte et propose dans son discours l’« augmentation du smic, celle du nombre de boursiers, le dégel du point d’indice des fonctionnaires ». « Quelle audace ! » s’amuse-t-il aujourd’hui. Montebourg tape sur la politique économique et lève son verre de la « cuvée du redressement » à François Hollande. Le lendemain, le président et le Premier ministre leur demandent de se dédire ou de quitter le gouvernement. Avec Aurélie Filippetti, ils démissionnent.
Benoît Hamon part se ressourcer en Bretagne une petite semaine. Sans prendre le temps du recul. Puis revient vite à la politique. « Je me consacre à quelques sujets : la Palestine, la santé, le travail, le burn-out. Et je me remets à bouquiner, je vois des gens, je discute beaucoup. » Député, il entre dans la fronde contre la loi Macron, la déchéance de la nationalité et la loi El Khomri. Ses adieux au social-libéralisme sont un voyage sans retour. Benoît Hamon est devenu écologiste. « Le moment clé, c’est lorsque je m’occupe d’économie sociale et solidaire. Ma réflexion sur le modèle de développement s’emboîte là, témoigne l’élu des Yvelines. Le pouvoir m’a libéré. Il m’a plongé dans un secteur où l’économie laisse entrer la démocratie. J’ai discuté avec Patrick Viveret, Claude Alphandéry. Je suis revenu à une deuxième gauche qui aurait évolué avec le monde. » Le frondeur Pascal Cherki voit des explications plus personnelles : « Sa femme est très écolo, et ses filles l’ont fait évoluer. La paternité l’a changé. Le monde qu’on va laisser aux générations futures le préoccupe. »
Au cours de l’année 2016, Hamon mûrit sa candidature. « J’avais déjà en tête un nouveau modèle de développement, une synthèse socialiste et écologiste et l’idée de défendre la gauche des libertés. » Il est très marqué par le livre de François Jullien, « les Transformations silencieuses », réfléchit aux transitions que notre monde doit mener. Relit Dominique Méda, Gaël Giraud. Regarde attentivement ce que Podemos fait en Espagne, a des échanges avec son leader, Pablo Iglesias. Est très attentif aux écrits de Chantal Mouffe, la philosophe qui pense le clivage peuple versus élite au lieu de celui de gauche contre droite. Il suit la campagne de Bernie Sanders, va le voir et continue encore aujourd’hui à discuter avec ses équipes. Pascal Cherki l’avoue : « Le fait majeur des dernières années, c’est la crise des classes moyennes, leur radicalisation. Sanders et Podemos ont mis en mouvement ces classes moyennes et leurs enfants autour de questions très concrètes, puis il s’est élargi. C’est la dynamique du mouvement ascendant. » Le modèle de la campagne Hamon est bien là. Revenu universel, réduction du temps de travail, interdiction des pesticides et des perturbateurs endocriniens, accueil des réfugiés, légalisation du cannabis : le candidat met des idées concrètes et pas forcément majoritaires sur la table. Un pari politique risqué mais logique pour une élection qui le propulser.
Locataire depuis toujours, Benoît Hamon est devenu cet été propriétaire, de l’autre côté du périphérique. « Mes filles auront toujours un toit, je leur laisserai quelque chose », philosophe-t-il. Preuve que le temps passe, que le jeune militant brestois a vieilli, ou plutôt grandi. Sans que ses camarades s’en rendent compte.