L'Obs

L’humeur

- J. G. Par JÉRÔME GARCIN

de Jérôme Garcin

Ily a vingt ans, le 12 janvier, après avoir si longtemps pédalé dans le vide et roulé les mécaniques, Jean-Edern Hallier tombait de son vélo noir, dans une rue de Deauville, où il faisait son cinéma. A l’exception peut-être du « Premier qui dort réveille l’autre » et de « l’Evangile du fou », ses livres, qu’il bâclait, ne lui ont guère survécu. A croire que son oeuvre la plus travaillée et la mieux vendue fut sa vie. C’est là, en effet, que cet écrivain aussi doué pour la provocatio­n que pour l’autocélébr­ation a le plus fait preuve d’imaginatio­n, de dérision, de perversion, parfois d’abjection. Dans la biographie très personnell­e, bien enquêtée et pleine d’empathie qu’il consacre à « Jean-Edern Hallier, l’idiot insaisissa­ble » (Albin Michel, 26 euros), Jean-Claude Lamy lui passe toutes ses tristes frasques au prétexte qu’il fut, selon lui, le « dernier grand polémiste du xxe siècle » et qu’il écrivit « des livres majeurs ». On en doute, mais on conseille aux plus jeunes qui n’ont pas connu cette époque de découvrir ici la geste folle d’un Quichotte incantatoi­re, d’un Cyclope kitsch, prêt à tout pour qu’on lui reconnût du génie. Entre autres bouffonner­ies, ce multirécid­iviste de la diffamatio­n créa un journal, « l’Idiot internatio­nal », afin de ruiner la réputation de ses ennemis, organisa son propre enlèvement, fit brûler les paillasson­s de quelques jurés Goncourt, inventa pour M6 le lancer de bouquins à la poubelle et poursuivit de sa haine le président Mitterrand, dont il avait tant quémandé les grâces. Une liste à laquelle, dans « Place des Vosges » (Seuil, 16 euros), Michel Braudeau ajoute un épisode de détourneme­nt de fonds : parti en 1973 pour le Chili avec de l’argent récolté en France afin de secourir les victimes de Pinochet, le « borgne fourbe » dilapida une partie de l’argent « en hôtels coûteux d’où il téléphonai­t aux résistants qui se cachaient sous de faux noms en les appelant par leurs vrais noms » et revint à Paris, les poches encore pleines, « auréolé d’une image d’aventurier ». Convaincu que Braudeau avait révélé cette malversati­on, Hallier passa un contrat sur sa tête avec un tueur à gages et se ravisa lorsque le procureur de la République fut alerté de la menace. Dieu merci, Michel Braudeau, alors âgé de 27 ans, avait de meilleures fréquentat­ions (dont Jean Cayrol, François Wahl et Jean-Marc Roberts), qu’il évoque avec beaucoup de délicatess­e dans ce joli récit de jeunesse, qui sent la capote de 2CV, le LSD et le Johnnie Walker de Jean-Edern, dont il écrit : « On a beaucoup médit de lui et sans doute pas assez… »

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