L'Obs

Chanson Julien Barbagallo, rock star à temps partiel

Quand il n’est pas le BATTEUR de Tame Impala, le plus grand groupe AUSTRALIEN, Barbagallo vit à Toulouse et façonne des chansons sur son OCCITANIE imaginaire. Rencontre

- Par FABRICE PLISKIN

Ne parlez pas de mobilité profession­nelle à Julien Barbagallo. Cet Albigeois est à la fois le batteur de Tame Impala, le plus célèbre groupe de rock d’Australie, et d’Aquaserge, le groupe le plus pataphysiq­uement pop de France, qui sort en février un nouvel album (« Laisse ça être »). Barbagallo vient de publier « Grand Chien », son deuxième disque solo, où il joue de tous les instrument­s. Il l’a composé, à Melbourne et pendant la tournée mondiale de Tame Impala, dans les avions, les chambres d’hôtel, sur une guitare acoustique, un petit synthétise­ur OP-1 et un iPhone pour les sons de batterie.

A propos de chien, celui de Barbagallo, un cavalier kingcharle­s spaniel croisé de beagle, s’appelle Etna, car le père du chanteur est né en Sicile, au-dessous du volcan. Mais le jour où nous l’interviewo­ns dans un café de Toulouse, sa ville de résidence, l’artiste à barbiche de Wisigoth est un peu stressé, car Etna est chez le vétérinair­e, depuis qu’elle s’est empoisonné­e en avalant du produit anti-taupe dans le jardin de son père. Le batteur de Tame Impala aurait bien besoin d’un stuntman, ce cocktail spécial auquel les Flaming Lips, ses compagnons de tour-

née, l’ont initié : « Shot de tequila, citron vert pressé dans les yeux et sel sniffé. »

Il évoque ses trois cents concerts avec Tame Impala qui l’ont mené jusqu’à Kuala Lumpur, les voyages en bus, dans une ambiance à la fois de « contingent de sous-marin » et de « café internet », où, dans un silence studieux, chaque musicien du groupe vaquait, sur son ordinateur portable, à la compositio­n de son propre disque solo. « A Los Angeles, avant un concert, on répétait dans un studio. Là, devant la machine à café, je tombe sur Paul McCartney, qui répétait aussi avec son groupe. J’essaie de lui parler normalemen­t. A la fin, il m’a dit: “Ben, tiens, ce week-end, je vais au Rock’n’Roll Hall of Fame pour introniser Ringo.” Chacun ses activités, hein, c’est dimanche. Je n’avais pas mieux!»

A 36 ans, ce nomade a plus de souvenirs que s’il avait 1000 ans : « Il y a le jour où j’ai obtenu des excuses et un câlin de Liam Gallagher après lui avoir expliqué à quel point j’avais été déçu, ado, quand j’avais eu trois fois des tickets pour un concert d’Oasis et qu’ils avaient annulé trois fois. » Il y a aussi le jour où Kevin Parker, le leader de Tame Impala, a rasé la tête de Nick Allbrook, le claviérist­e, dans les toilettes de l’aéroport de Rio après un pari perdu.

Fils et petit-fils de mineurs de Carmaux, le chanteur déraciné exhale son mal du pays dans la chanson « Pas grand monde ». « Il n’y avait pas grand monde qui voulait venir/Trop loin, trop cher, trop chaud », chante cet Australien malgré lui. « Pourquoi courir le monde/A l’ombre de rien », s’interroge-t-il dans « le Dernier Pays ».

A Perth, ville natale de Tame Impala, Barbagallo, pour conjurer le spleen des antipodes, « se faisait » les intégrales de Louis de Funès, Pierre Richard ou JeanPierre Marielle. Sans oublier «les Soprano». Marié à une Australien­ne, une trekkeuse qui lui a fait découvrir le lac Bleu de Lesponne et « le côté méditatif de la randonnée», Barbagallo se définit comme « un gentil régionalis­te », mangeur de saucissons de porc noir. Dans sa calandreta imaginaire, il s’est bâti une Occitanie poétique, faite de « bonhomie », de briques rouges, de ruines de châteaux cathares et de rues étroites. Occitanie portative: « Avec Tame Impala, sur la peau de ma grosse caisse, il y a mes initiales, J.B., avec, à la place du point sur le J, un sticker en forme de croix occitane. » Quand Barbagallo parle, c’est avec l’accent d’oc. Mais, chose étrange, quand il chante, son accent s’abolit. Autocensur­e? « Peut-être. Comme on met un effet sur une guitare, je mets un effet sur ma voix.» Voix blanche, allergique au « pavarottis­me », et qui rappelle à certains celle de Polnareff.

« Si j’ai du goût, ce n’est guère/ Que pour la terre et les pierres », dit Rimbaud. Lecteur du poète Guillevic, Barbagallo chante la matérialit­é des pierres chaudes, le granit du Sidobre, les torrents de l’Etna, qu’il appelle par son nom sicilien, Mungibeddu. Son art poétique s’enracine dans des paysages préindustr­iels et n’a de goût que pour l’élémentair­e et le millénaire. Résolument aborigène, le barbagalli­sme veut de modestes cantiques aux paroles épurées, comme « la Vérité » : « Les hommes sont loin/Et l’heure est belle, belle, belle/La vérité est sans relief, relief, relief/Juste un instant/ Sans mouvement, mouvement, mouvement. »

Mais, prenez garde à l’anguille sous roche. Sous le troubadour de la minéralité se cache, aussi, un Oulipien à crampons. La vérité sur «laVérité»? « Je suis un supporter du Toulouse Football Club. Lequipe.fr propose des commentair­es, en direct et par écrit, des matchs de ligue 1. Pendant la saison 20122013, semaine après semaine, j’ai copié-collé les live des trentehuit matchs du F.C. Toulouse. Puis j’ai composé un recueil de trente-huit poèmesen isolant des mots et des phrases dans ces textes de “l’Equipe”. Le texte de “la Vérité” est tiré de ce recueil. Par exemple, “les Hommes”, ça vient de “les hommes de Casanova” [alors entraîneur de Toulouse]. “Sans mouvement”, d’une expression comme : “une première mi-temps sans mouvement, avec des attaquants isolés”. Et “Sans relief ” vient d’“un match sans relief ”, etc. » Barbagallo chante en français et le revendique. Ce qui ne l’empêche pas d’admirer Daft Punk, qu’il révisait tous les matins sur ses écouteurs, à Albi, en allant au lycée Lapérouse, ni de mépriser les tubes du Carpentras­sien Christophe Maé. « Dans la catégorie “Prenage des gens pour des cons”, lui, c’est quelque chose. » Pour Barbagallo, chanter en anglais est « mensonger, malhonnête. Là où ça me dérange, c’est quand on se retrouve avec un groupe français qui chante en anglais pour des Français. C’est absurde. Non seulement c’est un filtre, une langue qui n’est pas la leur, mais la plupart des gens qui les écoutent n’ont probableme­nt aucune idée de ce qu’ils racontent. Une non-rencontre entre une artiste et son public. »

Parmi ses influences, l’Albigeois cite Genesis, Teenage Fanclub, Neil Young, Ferré, Gotainer, ou encore François de Roubaix et Ennio Morricone, ces « passionnés de la texture ». « Grand Chien » où Barbagallo, pop star et félibre, prodigue paysages choisis et thèmes de films imaginaire­s, est un jardin Etna-ordinaire.

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