LA LEÇON CHILIENNE DE HOLLANDE
En voyage au pays de Salvador Allende, le président a laissé libre cours à sa nostalgie de l’union de la gauche. Et fait passer un message : “S’il n’y a pas de rassemblement, il ne peut y avoir de victoire. C’est vrai hier comme aujourd’hui”
U ne heure quarante-cinq de route au milieu de nulle part. Autour, des paysages lunaires. Et rien d’autre à admirer. Le cortège de François Hollande roule vers Boléro et sa centrale photovoltaïque, fleuron d’EDF. Le chef de l’Etat, en voyage officiel au Chili, traverse le désert d’Atacama et ses couleurs rougeoyantes. Il est loin, très loin de Paris, mais, dans sa voiture, en ce dimanche électoral, il suit la primaire socialiste. « Même dans le désert, on est en direct », s’amuse-t-il. Son iPhone reste son meilleur ami, son lien avec sa vie d’avant. Alors que l’après-midi se termine en France, il reçoit les premiers sondages qui donnent déjà Benoît Hamon en tête, devant Manuel Valls. « Attendons les chiffres définitifs », glisse-t-il. Il aurait aimé que le peuple socialiste se déplace en masse. Aussi, quand la participation est annoncée à 1,5 million, le président non candidat est déçu.
Quand il arrive à la base vie de la centrale, dans ce baraquement coincé entre des centaines de panneaux solaires et des étendues arides, François Hollande écoute les explications des techniciens. Puis discute en aparté avec les élus qui l’accompagnent de « Hamon et Valls ». Un petit tour et puis s’en va. Dans le long trajet retour, il échange avec ses collaborateurs et ses amis à Paris. Il n’est « pas surpris » par la qualification de son ancien ministre de l’Education et de son ex-Premier ministre. Les socialistes veulent revenir à gauche, ont envie de rêver, ont soif d’idées neuves et d’utopies. A gauche dans l’opposition, à droite au pouvoir. Ce coup de balancier, Hollande le connaît bien. Il l’a pratiqué. Que Benoît Hamon ait saisi la musique chère aux électeurs socialistes ne l’étonne guère. Même si cela le désole. Ce sont ses contempteurs qui ont le vent en poupe. S’il en avait été autrement, François Hollande aurait été candidat à sa succession. Pas de regret à avoir.
Le chef de l’Etat dîne seul, ce dimanche soir, dans son avion qui l’amène à Bogota. Cruel anniversaire de son discours du Bourget. Le président est loin des socialistes. Et les socialistes s’éloignent de plus en plus de celui qui les a tant déçus. Il n’a pas voulu partager son repas avec ses invités. A l’aller, il avait déjeuné avec eux. Un repas « lunaire » aux dires de l’un des convives. Hollande a posé de nombreuses questions sur « le désert d’Atacama, les Farc, l’ELN, la guerre du Chaco, etc ». « C’est bien de parler de tout ça, mais il ne se
joue pas quelque chose d’important en France aujourd’hui? », s’est étonné un autre élu.
Pour l’un de ses ultimes voyages, François Hollande a choisi un périple très politique dont il a soigné le sens. Avant l’étape verte du déplacement –signal envoyé aux écologistes par ce chef de l’Etat qui s’est converti à la défense de la planète au gré de son quinquennat –, Hollande s’était plongé dans les racines du socialisme. Sur les traces de Salvador Allende. Le matin même, il avait visité la maison de ce président mythique en compagnie de sa fille. Elle y vit encore et certaines pièces n’ont pas bougé. « Il revenait manger ici tous les midis, même quand il était président », raconte Isabel Allende en montrant la salle à manger à François Hollande. Sur le mur, un tableau. « Mon père l’adorait. Heureusement il ne l’a pas amené au palais présidentiel. » C’est à la Moneda, dans ce palais sous les balles, que Salvador Allende s’est suicidé pour ne pas avoir à se rendre aux putschistes. Dans le petit bureau où il recevait ses interlocuteurs pendant que ses enfants faisaient leurs devoirs, une photo le montre quelques jours avant ce funeste 11 septembre 1973. François Hollande la scrute attentivement. « Là, c’est avec Fidel », explique Isabel Allende, avant d’en montrer une autre « qui [l’]impressionne beaucoup. Tous ceux qu’on y voit ont été assassinés ». Quand elle raconte la mort des compagnons de son père, le chef de l’Etat est visiblement ému. Il s’assied ensuite avec la fille de la figure adulée de la gauche française. Pour François Hollande, « on peut imaginer ce qu’ont été ici les moments de joie, mais aussi de douleur, car la violence était là, autour de vous ». Isabel Allende lui raconte la vie de sa famille qui aurait pu disparaître avec le coup d’Etat. « A la Moneda, on avait proposé à ma mère de prendre un avion avec sa famille. On a su ensuite que Pinochet voulait nous laisser tomber de l’avion. Heureusement, ma mère n’a pas voulu. Mon père, lui, avait la conviction qu’il devait être à la Moneda. »
François Hollande s’est engagé pour la première fois en politique après la mort d’Allende. Cette visite dans sa maison le marque: « J’avais 19 ans au moment du coup d’Etat. Je me souviens de la manifestation à Paris, quelques jours après », raconte-t-il aux journalistes avant de prendre la route du désert. Ses yeux se mettent à pétiller, son regard s’allume. « C’était la première fois que la gauche unie défilait dans les rues après la défaite de 1973. Il y avait Mitterrand, Marchais, Robert Fabre. » La nostalgie Allende le saisit. La gauche meurt de ses divisions, et ce président qui n’a pas pu se représenter en raison de cette fragmentation raconte la gauche unie. Etrange instant. « C’est une référence et un exemple. Les situations sont très différentes. Mais il ne faut pas attendre qu’il y ait des épreuves pour faire l’union de la gauche, pas attendre un ressac, un recul, une défaite électorale pour que la gauche se rassemble. » Et pour que les choses soient claires, Hollande assume: « Ça vaut pour aujourd’hui et pour demain. » La politique reste sa passion. Alors il ne s’arrête plus : « Il ne faut pas que la gauche se radicalise. Au Chili aussi, il y avait ce maximalisme. Cette surenchère existe également en France. »
Au moment où il s’exprime, il ne sait pas encore que Benoît Hamon sortira en tête de la primaire du parti qu’il a si longtemps dirigé. Il parle de ce qu’il a vécu: « La gauche est contestée quand elle est au pouvoir, et elle se rassemble dans l’opposition. » Hollande ne choisira personne dans la primaire, mais, en même temps, le champ de ruines qu’il laisse le désole. « S’il n’y a pas de rassemblement, il ne peut pas y avoir de victoire. C’est vrai hier comme aujourd’hui. » Telle est la leçon chilienne de François Hollande.
La veille du premier tour de la primaire, dans les jardins de la résidence de France à Santiago, le président s’était déjà confié sur Salvador Allende : « Il a eu le courage de ne pas se rendre, de ne pas céder. Il voulait aller jusqu’au bout. Il voulait donner un exemple au monde. » Un président qui se bat sans cesse. C’est ce qu’il voudrait être. A défaut, alors qu’il ne lui reste plus que quelques mois à l’Elysée, François Hollande entend être président jusqu’au dernier jour. Et écrire lui-même la fin de l’histoire. Au Chili d’abord. Puis en Colombie, où il a fait l’éloge du processus de paix en se rendant avec le président Santos et des représentants des Farc dans une zone démilitarisée. Le socialisme, l’écologie, la paix et la réconcilation: un ultime voyage en forme de résumé rêvé de son quinquennat.