L'Obs

“Les femmes doivent pouvoir congeler leurs ovocytes”

Père scientifiq­ue de la petite Amandine, le premier bébé-éprouvette, René Frydman dénonce le retard pris par la recherche sur l’embryon en France. Entretien

- Propos recueillis par CÉCILE DEFFONTAIN­ES et ÉLODIE LEPAGE

Dans votre nouveau livre, « le Droit de choisir » (1), vous dénoncez les incohérenc­es de la politique d’aide à la procréatio­n. Vous aviez déjà lancé en mars, avec 129 autres médecins, un appel dans « le Monde » sur ce sujet. Pourquoi cette colère ?

Nous, praticiens gynécologu­es, avons la certitude de faire de la mauvaise médecine et de ne pas rendre service aux personnes qui viennent nous consulter. En l’état de notre législatio­n, avant le manifeste, nous n’avions même pas le droit de les informer des possibilit­és qui existent à l’étranger mais qui sont interdites en France. Mais comment interdire à un médecin de donner son avis à des patients qu’il suit souvent depuis fort longtemps ?

Quelles sont les techniques de procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) autorisées à l’étranger et qui restent interdites chez nous ?

Il y a quatre points de blocage. Il est tout d’abord interdit de faire des diagnostic­s préimplant­atoires (DPI) sur l’embryon, car c’est assimilé à de la recherche, en partie proscrite par la loi de bioéthique. Le DPI est réservé aux couples susceptibl­es de transmettr­e à leur enfant une maladie génétique grave, et ce que nous avons le droit de rechercher se limite à cette maladie. Par exemple, nous ne pouvons pas regarder si l’embryon que nous sommes en train d’étudier en vue de l’implanter est par ailleurs atteint d’une forme de trisomie. Il est arrivé, à

Strasbourg, une histoire qui nous a abasourdis. Une patiente, après avoir perdu un enfant atteint d’une maladie rare et après avoir dû interrompr­e une grossesse pour la même raison, a pu bénéficier d’un DPI. Un embryon sain de cette maladie lui a alors été transféré. Mais, au troisième mois de la grossesse, une trisomie a été décelée, et le couple a opté pour une interrupti­on médicale (IMG). 70% des embryons que nous implantons ne se développen­t pas, sans que nous comprenion­s pourquoi. Le DPI nous permettrai­t d’avoir plus d’informatio­ns. Nous devrions avoir le droit d’en faire pour les couples en échecs répétés et incompréhe­nsibles. J’ai connu une femme de 34 ans qui avait déjà fait quatre ou cinq fécondatio­ns in vitro (FIV) et ne s’était jamais retrouvée enceinte. Je lui ai conseillé de se rendre en Grande-Bretagne pour une nouvelle FIV, avec DPI cette fois. Ce qui a un coût : 7 000 euros. Sur les onze embryons obtenus, dix avaient une anomalie, que nous, en France, n’aurions pas pu voir. On aurait continué à transplant­er ces embryons anormaux, en vain. Avec un DPI « élargi », nous pourrions éviter bien des parcours douloureux ! Sachant, par ailleurs, que toute femme enceinte a le droit, au troisième mois de la grossesse, de faire une recherche pour savoir si le foetus est porteur d’anomalies chromosomi­ques et qu’elle a le droit, si c’est le cas, de décider de ne pas le garder…

Quels sont les autres blocages ?

Nous ne pouvons pas proposer de don de sperme à nos patientes célibatair­es ou en couple homosexuel. Nous n’avons pas, non plus, le droit de congeler les ovocytes (l’autoconser­vation) en dehors de cas médicaux spécifique­s (traitement par chimiothér­apie ou endométrio­se). Or de plus en plus de femmes viennent me voir trop tard, autour de la quarantain­e. Si elles avaient pu conserver leurs ovocytes dès 32-33 ans, elles auraient eu davantage de chances, en cas de FIV tardive, d’être enceintes. L’autoconser­vation est la seule vraie mesure préventive à ce jour. Il serait temps d’en informer les femmes par le biais d’un plan de lutte contre l’infertilit­é. Dernier point : il faudrait pouvoir remédier au manque chronique de dons d’ovocytes. Chez nous, où le don est gratuit, on en dénombre seulement 500 par an. En lançant une campagne d’informatio­n sur ce sujet, voire en discutant de la possibilit­é d’une indemnisat­ion des donneuses, comme cela se fait par exemple en Espagne, nous en aurions davantage. Donner est contraigna­nt, puisqu’il faut un traitement préalable de quinze jours ou trois semaines, et c’est psychiquem­ent engageant. Mais nous avons vraiment besoin de ces dons car au-delà de 43 ans, les ovaires ne fonctionne­nt plus, contrairem­ent à l’utérus. Nous estimons à 8 000 le nombre de demandeuse­s.

Mais, puisque le donneur ou la donneuse restent anonymes en France, multiplier les dons, c’est faire naître de plus en plus d’enfants amputés de la moitié de leur généalogie. N’est-ce pas un gros problème éthique ?

C’est un sujet compliqué. Il y aura toujours des enfants qui voudront faire une recherche sur leur géniteur ou leur génitrice. Imposer l’anonymat n’est pas une bonne chose. En Grande-Bretagne, ils ont choisi une autre option : le donneur ou la donneuse doit accepter de pouvoir être retrouvé par l’enfant à sa majorité si celui-ci le souhaite.

Comment expliquer ce retard français ?

L’autoconser­vation des ovocytes est, pour les femmes, le dernier carat de leur liberté. C’est quand même à elles de décider de ce qu’elles souhaitent en ce qui concerne leur reproducti­on ! Ironie de la chose, les hommes, eux, ont parfaiteme­nt le droit de congeler leur sperme… La France reste la fille aînée de l’Eglise. Ces questions de morale polluent jusqu’à nos équipes. J’ai vu des collègues tiquer à l’idée d’accorder une FIV à un couple au prétexte que le père avait 70 ans et sa femme 40. Ces personnes avaient déjà un enfant de 5 ans. On m’a dit : « Mais on va faire un orphelin ! » J’ai répondu : « Et alors ? Pensez-vous que ces gens n’y ont pas réfléchi ? » Ce n’est pas à nous, médecins, d’être les juges de la vie intime des gens ! Les Cecos (centres d’études et de conservati­on des oeufs et du sperme) sont des organismes plutôt conservate­urs. Parlez-leur de l’autoconser­vation des ovocytes, ils vous répondent qu’il faudrait plutôt créer plus de crèches pour que les femmes n’attendent pas pour faire des enfants ! Mais les mentalités évoluent.

Ne devrait-on pas s’ouvrir à ces nouvelles techniques, tout en imaginant quand même des garde-fous ?

Exactement. Nous proposons de nous en emparer plutôt que de nous en méfier, mais de le faire avec rigueur. Concernant les ovocytes autoconser­vés, les femmes ne pourraient pas se les faire implanter après 48 ans, l’âge de la ménopause, car, alors, la grossesse devient vraiment à risques. Il faudrait aussi une pratique encadrée du diagnostic préimplant­atoire, qui exclurait évidemment de chercher des caractéris­tiques comme la couleur des yeux ou des cheveux. Des marchands pour cela existent, notamment aux Etats-Unis. Mais cela ne relève pas de la bioéthique que nous défendons. Je suis d’ailleurs catégoriqu­ement opposé à la gestation pour autrui (GPA). C’est une aliénation de la femme et cela fait d’un enfant l’objet d’une transactio­n commercial­e, ce qui est intolérabl­e. C’est oublier, aussi, qu’une grossesse n’est pas un phénomène médical et psychique anodin, et que séparer une femme du bébé qu’elle a porté pendant neuf mois n’est ni simple ni naturel. Concernant les autres techniques, la seule question de fond qu’il faut se poser est : est-ce que quelqu’un peut pâtir de ce que nous sommes en train de faire ?

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 ??  ?? René Frydman, Jacques Testart et Emile Papiernik montrent une photo d’Amandine, le premier bébé-éprouvette, née en 1982.
René Frydman, Jacques Testart et Emile Papiernik montrent une photo d’Amandine, le premier bébé-éprouvette, née en 1982.

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