L'Obs

Poissons dans l’eau

Où l’on voit que c’est pas si simple

- D. D. T.

Naissance en Ukraine, par une nouvelle technique de fécondatio­n in vitro, d’un enfant à trois parents. C’est le second enfant à trois parents, un autre était né au Mexique l’année dernière selon une technique voisine. Deux papas ou deux mamans? Deux mamans. Le designer italien Gaetano Pesce, dont tout le monde a vu des meubles sans le plus souvent connaître le nom de leur auteur, publie en ce mois de janvier un livre d’entretiens, « Réinventer le monde sensible » (Buchet-Chastel, 230 p., 19 euros). Sous forme d’abécédaire, il se raconte et raconte son métier. Il avait 71 ans. Son amie en avait 28. Ils voulaient un enfant. « Nous avions décidé qu’elle m’adopterait auparavant, pour qu’elle soit à la fois la mère et la grand-mère de cet enfant tandis que j’en serais le frère et le père. » Quant aux quatre enfants qu’il avait déjà, elle en aurait été la grand-mère, alors qu’elle n’avait que la moitié de leur âge.

Tout le monde suit? L’idée était d’élargir les liens familiaux. « Etre le fils d’une femme trois fois plus jeune que moi, quelle merveille! » Selon la loi américaine, c’était possible. La loi italienne l’interdisai­t. « Mon amie a manqué de courage », conclut Gaetano Pesce. Il lui avait pourtant montré le chemin avec ses meubles.

« Mondialisa­tion du poisson ». Le titre de la dépêche (AFP) était alléchant. De quoi s’agit-il? Premier exemple, le saumon. « L’oeuf vient de Norvège, le saumon a grandi en Ecosse, il sera fumé en Pologne ou tranché en Chine. » Avant d’arriver dans votre assiette en France. Enfant, nous apprenions que le saumon était voyageur. Il traversait les océans. Des rivières, il remontait le courant. Tout ça, frétillant, vivant. Aujourd’hui, il voyage plus que jamais mais il est mort, sans voir le paysage, ni tâter la températur­e de l’eau.

Avant de le tuer, le saumon, il a fallu le nourrir. Sa nourriture est venue du Chili. Vous voulez du maquereau ? Du norvégien ? Alibaba s’en chargera, rapporte l’AFP. Alibaba, groupe chinois du milliardai­re Jack Ma, le petit bonhomme rigolard, fierté du Parti communiste de son pays. Livrables n’importe où dans le monde en 45 jours, en trois clics, trois tonnes de filet de maquereau norvégien vous seront expédiées du port de Qingdao (province du Shandong, Chine de l’Est).

Pourquoi ce déplacemen­t, puisque la Norvège c’est la porte à côté? Ça doit revenir cher, ces allers-retours de l’Europe atlantique jusqu’au fin fond de l’Asie. Tous ces kilomètres. Ces milles marins. Vous n’avez rien compris. Il faut que le chroniqueu­r vous explique.

Nous avons dit « filet de maquereau ». Le maquereau ne se met pas en filet tout seul. Un Norvégien ne vous l’y mettrait pas pour un coût raisonnabl­e. Le maquereau est donc expédié en Chine où il est fileté pour trois sous trois piastres trois fifrelins. C’est à cet endroit de l’odyssée piscicole que ça devient grand.

Le maquereau pue vite. C’est une malédictio­n. L’homme moderne a vaincu la malédictio­n. On le congèle, le maquereau norvégien, avant de l’expédier en Chine. Ainsi, il pourrait vivre mille ans. Enfin, quand on dit vivre, il pourrait pendant mille ans subsister. En théorie. Parce qu’un maintien prolongé à l’état congelé coûterait des US dollars, monnaie de compte du milliardai­re de Chine Jack Ma. Sitôt arrivé de Norvège, le maquereau est fileté. Fileté congelé? Le lecteur se rebi e. Faut pas lui en conter.

Le maquereau, en e et, n’est pas fileté congelé. Pour le filetage, écrit l’AFP, il est remonté à températur­e négative sans décongélat­ion totale. Sitôt en filet, il retourne à sa congélatio­n d’origine. Vous craignez que la décongélat­ion ne soit parfois totale et que ce ne soit pas bon pour votre santé? Rassurez-vous, ce serait de l’argent, alors aucun risque. Bon appétit.

Vous voulez du maquereau? Du norvégien?

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