L'Obs

Le testament de Remarque

Après un triomphe mondial, l’auteur d’“A l’ouest rien de nouveau” avait dû fuir l’Allemagne nazie. On publie enfin son ultime roman CETTE TERRE PROMISE, PAR ERICH MARIA REMARQUE, TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR BERNARD LORTHOLARY, STOCK, 482 P., 23 EUROS.

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Oubliez un instant les réfugiés syriens, si vous le pouvez. Ici, les migrants fuient la barbarie qui ravage l’Europe pour échouer dans « une ville futuriste dont la loi suprême n’est pas la sécurité mais l’efficacité ». Ils s’y heurtent aux « lois inhumaines d’une bureaucrat­ie indifféren­te », découvrent les joies sordides du travail au noir et la méfiance d’un peuple très fier d’incarner la liberté, se consolent à la vodka dans des hôtels déglingués, se demandent s’ils pourront un jour retourner chez eux – et si ce sera encore chez eux. « Cette terre promise » n’est pas une fable d’anticipati­on rédigée par un illuminé. C’est le dernier roman d’Erich Maria Remarque, inachevé, jusqu’ici inédit en France et désormais magnifique­ment traduit par Bernard Lortholary. Il raconte par le menu la manière dont vivaient les Allemands le plus souvent juifs qui ont trouvé refuge à New York pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’auteur d’« A l’ouest rien de nouveau » connaissai­t le sujet. Lui-même avait fini par traverser l’Atlantique, en 1939, après avoir été déchu de sa nationalit­é et avoir vu son chef-d’oeuvre cramer dans les autodafés de 1933. Est-ce pour cela qu’il parle si bien de l’impossible chasse au bonheur de ses multiples personnage­s, et des « rêves effroyable­s » qui les rattrapent quand l’Amérique s’endort? Il a en tout cas l’art de faire saisir le passé de son héros, Ludwig Sommer, à travers de brèves réminiscen­ces, tandis qu’un inoubliabl­e marchand de tableaux lui enseigne comment fourguer, au prix fort, un Renoir à un marchand d’armes dont les bombes se vendent par camions. Comme dans son excellent « Arc de triomphe », la satire n’est jamais loin de la tragédie chez Remarque. Il y a quelque chose d’un peu daté dans ses aphorismes étincelant­s et les dialogues bavards, dont il se moque lui-même, mais aussi, toujours, une vitalité et une intelligen­ce peu communes. C’est « la Comédie humaine » retouchée par Billy Wilder, et c’est sidérant d’actualité. Comme dit un résistant juif qui a beaucoup combattu les nazis, « la haine de l’étranger est le signe le plus sûr de la barbarie ».

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