Broca le mal-aimé
LE ROI DE COEUR, PAR PHILIPPE DE BROCA. COMÉDIE FRANÇAISE, AVEC ALAN BATES, PIERRE BRASSEUR, GENEVIÈVE BUJOLD, MICHELINE PRESLE (1966, 1H50).
Octobre 1918. Dans une petite ville de France qu’occupent encore les Allemands, un caporal moustachu hystériquement vindicatif (joué par Philippe de Broca) s’entend répondre par un de ses supérieurs : « Plus tard, Adolf, plus tard ! » Une réplique qu’auraient pu lancer au réalisateur les spectateurs et critiques de 1966, passés complètement à côté du « Roi de coeur ». Ce film tombé de nulle part, et qui y retourna, jouit aux Etats-Unis d’une réputation enviable. Comment ne pas penser que c’est un « Plus tard, Michel, plus tard ! » qui vient à l’esprit au spectacle d’un Michel Serrault semblant roder le personnage d’Albin de « la Cage aux folles ». « Le Roi de coeur » est un film en avance sur son temps. Dans une ville bientôt désertée par l’occupant allemand et non encore réinvestie par ses habitants, les pensionnaires d’un asile laissent libre cours à leur fantaisie délirante, sous le regard d’un soldat britannique (Alan Bates, photo), colombophile en mission qui, pour échapper à l’ennemi, a prétendu être « le roi… de coeur ». La distribution est éblouissante, les dialogues sont découpés au rasoir, le décor de Senlis se prête admirablement à la mise en scène, souple, déliée, de Philippe de Broca, auquel l’échec de l’entreprise, dit-il, « coupa les ailes pendant des mois ». Le mal-aimé s’envole de nouveau sur les écrans : une seconde chance, mille fois méritée, pour ce « Roi de coeur ».