PREMIÈRES PRISES DE GUERRE CHEZ LES HAUTS FONCTIONNAIRES
A l’époque de Jean-Marie Le Pen, l’ENA était la bête noire du Front. Depuis l’arrivée de sa fille, le parti cherche à recruter parmi l’élite de l’administration. Une stratégie qui commence à porter ses fruits
Apremière vue, ils incarnent ce que le FN dénonce sans cesse: les privilégiés du « système », les « rentiers de la République », ces énarques qui ne font pas grand-chose pour un salaire très décent et cela aux frais du contribuable. Les quelques anciens de l’ENA qui sont –ou ont été– des cadres dirigeants du FN ont presque tous choisi de faire carrière dans des corps de contrôle de l’Etat, où, de notoriété publique, le travail n’est pas vraiment harassant… Prenez l’ex-directeur de cabinet de Marine Le Pen, Philippe Martel, énarque de la même promotion que Jean-Marie Messier. Il est membre du contrôle général du ministère des Finances, un placard doré pour les hauts fonctionnaires de Bercy. Mais c’est à l’Inspection générale de l’Administration (IGA), un corps du ministère de l’Intérieur, que les « FNarques » sont les plus nombreux. « A ma sortie de l’école, j’ai intégré l’IGA, où, c’est vrai, on dispose d’une grande liberté, et d’où l’on peut mener discrètement une carrière politique, reconnaît le mégrétiste Jean-Yves Le Gallou (promotion Simone Weil), qui n’appartient plus au FN mais continue de conseiller les Le Pen. C’est Yvan Blot, sorti une année avant moi, qui m’a conseillé de faire ce choix, comme lui. Florian Philippot a suivi la même voie. » Aujourd’hui en disponibilité, le vice-président du FN, inspecteur de 2e classe, n’a toujours pas démissionné.
Longtemps l’ENA était la bête noire des frontistes. En 2007, le candidat Jean-Marie Le Pen demandait sa suppression. Depuis la prise de pouvoir de sa fille, en quête de respectabilité, l’école est devenue une terre de mission. La tâche n’est pas aisée. Il y a quelques mois, Florian Philippot a demandé à parler devant l’association des anciens de l’ENA. En vain. Alors, les dirigeants du FN ont adopté une autre méthode : la création en novembre 2015 d’un collectif informel, les Horaces, regroupant les hauts fonctionnaires et cadres du privé qui souhaitent se rapprocher discrètement de Marine Le Pen.
Son porte-parole s’appelle Jean Messiha. Il est, lui aussi, un énarque, promotion Romain Gary. A 47ans, cet homme jovial, né au Caire, se flatte de ne pas être un « Français de souche », mais d’être le seul arabisant du FN. Il a fait une carrière honorable : ancien conseiller économique et financier à l’ambassade de France à Abou Dhabi et au Liban, il a été l’un des rapporteurs du Livre blanc 2013 sur la défense. Après avoir été nommé coordonnateur du projet présidentiel de Marine Le Pen, en novembre 2016, il s’est mis en disponibilité du ministère de la Défense –à la demande expresse des syndicats qui ont invoqué l’obligation de réserve des fonctionnaires.
Jean Messiha le reconnaît, la haute fonction publique reste rétive. « Le FN progresse beaucoup dans l’administration, à la base, là où les fonctionnaires sont en contact avec la population et ses difficultés. Il “mord” moins au sommet où l’on ne connaît pas cette réalité et où l’on a peur pour sa carrière, admet-il. Cela dit, depuis l’annonce publique de sa création, en août 2016, les Horaces compte désormais 120membres.» Qui? Il refuse de le dire. Selon lui, le collectif compte un ambassadeur –« en poste à Paris », précise-t-il –, un préfet dont on ne sait s’il est hors cadre, et un conseiller d’Etat, ancien major de l’ENA, manifestement la grosse prise du FN dont il tait obstinément l’identité. « La majorité de nos recrues sont issues de Bercy, y compris de l’Agence des Participations de l’Etat, expliquet-il. Viennent ensuite l’Intérieur et la Défense. » Puis Jean Messiha ajoute: « Au ministère de la Culture, ça résiste plus… » Pour l’instant.
Chez les futurs hauts fonctionnaires, l’avenir du FN s’annonce plutôt prometteur. A Sciences-Po, une section du Front a été créée fin 2015 par David Masson-Weyl, ancien dirigeant du collectif des étudiants proche du Front et conseiller régional d’Alsace Champagne-Ardenne Lorraine sur la liste de l’inévitable Florian Philippot. Depuis quelques semaines, cet aspirant énarque fait un stage au Conseil d’Etat, le saint des saints de la haute fonction publique…
Jean Messiha, énarque et porte-parole des Horaces, cercle influent de fonctionnaires et de cadres du privé au service du Front national.