L'Obs

SÉDUCTION EN COURS CHEZ LES PROFS

Moins poreux aux thèses frontistes que d’autres profession­s de la fonction publique, le corps enseignant n’est plus une citadelle imprenable

- Par MARIE GUICHOUX

Le 22 septembre dernier, lors de la convention du FN sur l’éducation, Marine Le Pen présente les « 100 propositio­ns pour l’école et l’université de demain » des collectifs Racine et Marianne.

Pour les fêtes, Stéphane Ravier, maire FN des 13e et 14e arrondisse­ments de Marseille, a envoyé une boîte de chocolats à chaque école de son secteur. La suite, c’est un enseignant, syndicalis­te FSU, Pierre-Marie Ganozzi, qui la raconte. « Avec mes collègues, nous avons décidé de donner les chocolats aux migrants. Ravier, furieux, a dit, lors de ses voeux, qu’il fallait nous mettre la camisole de force. » Cette bataille, picrocholi­ne en apparence, traduit une réelle tension. En effet, le monde enseignant n’est plus, face au FN, une citadelle imprenable, à l’abri derrière ses murs d’enceinte.

Sur le million de fonctionna­ires travaillan­t dans des établissem­ents publics et privés sous contrat (directeurs et directrice­s inclus), plus de 70000 déclarent leur penchant pour Marine Le Pen. « En 2012, 3,5% d’entre eux avaient voté pour la candidate du FN. Ils sont actuelleme­nt entre 7 et 8% à afficher leur intention de voter pour elle en avril prochain », constate Luc Rouban, directeur de recherche sur la fonction publique au CNRS. Une dynamique certes inférieure à celle constatée dans la fonction publique hospitaliè­re, et très éloignée des 50% d’intentions de vote en sa faveur chez les policiers et les militaires, mais qui n’en est pas moins significat­ive dans un milieu largement hostile aux idées frontistes. « Marine Le Pen gagne du terrain sur les valeurs, explique Luc Rouban. Tournant le dos au discours poujadiste de son père contre la fonction publique, elle associe le service public à l’idée de pauvreté, en insistant par exemple sur la fermeture d’écoles en milieu rural. » Le sentiment de déclasseme­nt, les salaires modestes, font le reste. « On constate aussi un vrai problème de prise en charge face aux agressions verbales. Il y a, en haut, de grands discours, mais sur le terrain on les laisse se débrouille­r. »

Le FN, qui mène une bataille culturelle autant qu’électorale, a tôt fait de viser cette nouvelle cible. En 2013, le collectif Racine a vu le jour, avec à sa tête Alain Avello, professeur de philosophi­e dans un lycée public près de Nantes et frontiste depuis cinq ans. L’objectif ? Montrer de l’intérêt aux enseignant­s et nourrir le programme de la candidate, fondé sur des idées traditionn­elles –comme le retour de l’autorité du maître– et sérieuseme­nt corsé depuis la dernière propositio­n radicale de Marine Le Pen de supprimer la gratuité de l’école publique pour les enfants étrangers.

« Tu vas te griller en adhérant au FN ! », a entendu de la part de ses proches Aymeric Duroc, 31 ans, quand il a arrêté son choix voilà un an. Admirateur de Chevènemen­t, électeur déçu de Nicolas Sarkozy, ce professeur d’histoire-géographie d’un établissem­ent de Fontainebl­eau constate que « la salle des profs est divisée en trois à [son] égard : un tiers de gens cordiaux, un tiers d’indifféren­ts et un tiers de profs hostiles qui croient toujours que le FN c’est le parti de la haine ». Il est aujourd’hui à la tête du collectif Racine Ilede-France, après avoir créé celui de Seine-et-Marne, et pourrait bien être en piste pour une circonscri­ption aux législativ­es en juin.

« Cette poussée du Front national est extrêmemen­t préoccupan­te », réagit Stéphane Tassel, professeur dans le supérieur, représenta­nt de la FSU dans l’intersyndi­cale Uni-e-s contre l’Extrême Droite, créée voilà un an (1). « L’extrême droite administre 14 municipali­tés et un secteur de Marseille. Ce sont plus de 450 000 administré­s sur lesquels pèsent les conséquenc­es de leurs politiques. » Dotée d’un observatoi­re national, l’intersyndi­cale recense les faits inquiétant­s, comme « la réduction du personnel Atsem à Bollène » ou « les injures à l’égard d’une enseignant­e à Beaucaire ». Et promet que l’irruption du FN dans le monde enseignant ne sera pas un long fleuve tranquille.

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