L'Obs

L’EXTRÊME DROITE PRÈS DE CHEZ VOUS

Peu de grands projets, de la provocatio­n et du clientélis­me : le maire d’Hayange applique la recette des municipali­tés FN. Reportage

- Par NATHALIE FUNÈS

C ’est une histoire banale de stationnem­ent interdit. En centre-ville, juste devant la boucherie de la rue Charlesde-Gaulle, trois places sont désormais limitées à trente minutes et réservées aux taxis les jeudis matin, jours de marché. La quatrième a été réquisitio­nnée pour les handicapés, décision de la municipali­té. C’est devenu un casse-tête pour se garer. Le boucher s’arrache les cheveux quand il doit décharger. Les PV s’accumulent. La dernière fois, il avait laissé sa Peugeot en double file, le long des taxis, warnings allumés, cinq minutes montre en main. La police municipale n’a rien voulu savoir. 135 euros d’amende. L’homme s’appelle Izret Baktas, vient du nord de la Turquie, et est installé depuis sept ans à Hayange. Commentair­e du maire, Fabien Engelmann, coupe en brosse, jean serré : « Le côté communauta­ire, religieux, avec des panneaux géants marqués “halal”, genre on fait ce qu’on veut chez vous, voilà ce qui me dérange. »

Hayange, le fief historique de la famille Wendel, l’ancienne ville phare du nord de la Lorraine, la commune aux 17% de chômeurs, la cité aux carcasses rouillées de hauts-fourneaux qui ont craché leurs poussières plus d’un siècle durant avant d’être réduits au silence au printemps 2013… Aujourd’hui, la localité peut se targuer d’une nouvelle particular­ité : son maire frontiste. Aux dernières élections municipale­s, grâce à une quadrangul­aire au second tour et à un taux d’abstention record, Fabien Engelmann l’a emporté avec à peine plus d’un tiers des voix, 2 300 bulletins pour une commune de 16 000 habitants. C’est un ancien syndicalis­te CGT de 37 ans, employé auparavant comme plombier-chauffagis­te par la municipali­té de Nilvange. Fils unique d’un couple de Témoins de Jéhovah, végétarien et membre de la Fondation Brigitte Bardot depuis ses 13 ans, il a milité pour Lutte ouvrière et le NPA, avant de rejoindre le Front national à l’automne 2010. Son bilan à mi-mandat ? « Beaucoup de communicat­ion, peu d’actions, du clientélis­me, quelques provocatio­ns pour faire le buzz, note Gilles Wobedo, 29 ans, président de l’associatio­n d’opposition Hayange, plus belle ma ville. C’est ce qu’on retrouve dans la plupart des dix nouvelles mairies d’extrême droite. »

Au milieu des années 1990, le parti des Le Pen avait eu du mal à se remettre des errements de gestion dans les villes remportées par ses troupes (Marignane, Toulon, Vitrolles…). L’immobilism­e semble être le

mot d’ordre cette fois-ci. « Pas de dépenses à tout-va sur le dos des contribuab­les », revendique Fabien Engelmann. Juste quelques mesures symbolique­s : baisse de 2% de la taxe d’habitation, mise en place d’une fourrière animale, d’un pigeonnier, d’une navette gratuite pour les plus âgés, de festivités (bal du 14-Juillet, repas pour les anciens…) et renforceme­nt de la police municipale, désormais équipée de caméras GoPro et d’un chien de berger malinois. « Il n’a aucune politique structuran­te, il fait de la proximité, indique le socialiste Michel Liebgott, député-maire de Fameck et président de la communauté d’agglomérat­ions Val de Fensch. Il participe peu aux réunions plénières de l’agglo, il a refusé un projet intercommu­nal de mini-gare routière, mais il est toujours là pour serrer les mains des Hayangeois. »

Résultat, dans les urnes, la popularité du FN reste stable (2 299 voix aux départemen­tales de mars 2015, 2 390 aux régionales de décembre). Et dans les rues, les satisfaits égrènent le même discours. Tour d’horizon au Grand Café, rue du Maréchal-Foch, l’artère commerçant­e d’Hayange. Kévin (1), 25 ans, agent d’entretien : « Les rues sont plus propres, il y a plus d’animation. » Didier, 60 ans, concierge : « Il y a plus de sécurité, la police est plus présente, nos impôts n’augmentent pas. » Vincent, 40 ans, chômeur : « Tout se passe bien. »

Les saillies anti-musulmans du premier magistrat ne semblent choquer personne. Quelques jours après son élection, Fabien Engelmann sort une autobiogra­phie publiée par Riposte laïque, « Du gauchisme au patriotism­e. Itinéraire d’un ouvrier élu maire d’Hayange », dans laquelle il étrille cette « nouvelle immigratio­n » qui vient « bien souvent pour profiter des aides sociales sans travailler et pour imposer une idéologie religieuse moyenâgeus­e ». Il instaure, dans la foulée, une Fête du Cochon, qui a encore accueilli une vingtaine de militants identitair­es et de membres de Lorraine nationalis­te lors de sa troisième édition, en septembre dernier. Il fait distribuer gratuiteme­nt des hot-dogs lors de la Saint-Nicolas. Il tente d’empêcher la deuxième boucherie halal de la ville d’ouvrir le dimanche. Il réserve un goûter de Noël aux familles bénéficiai­res des minima sociaux, excluant, de fait, les migrants. Il envoie bouler son adjoint aux sports venu lui proposer des cours de danse orientale. « Il m’a répondu : “Tu es fou ? Et mes électeurs, tu en fais quoi ? La danse orientale n’est pas compatible avec le Front national” », raconte Patrick Hainy, 40 ans, cuisinier au régiment de transmissi­on de Thionville. L’élu a rejoint l’opposition avec trois autres adjoints frontistes, destitués comme lui. La scission s’est faite sur fond d’irrégulari­tés dans les comptes de campagne. D’abord condamné à un an d’inéligibil­ité par le tribunal administra­tif de Strasbourg, Fabien Engelmann a vu la sanction levée par le Conseil d’Etat. Il en a profité pour faire le ménage parmi les frondeurs. Le maire en est déjà à son troisième premier adjoint.

A l’hôtel de ville, l’étage occupé par la direction est devenu un bunker. Une porte vitrée fumée et un digicode ont été installés. Même les employés municipaux n’y accèdent librement qu’une heure par jour. « La totalité des directeurs, les huit dixièmes du personnel du centre communal d’action sociale (CCAS) sont partis, raconte un salarié. Fabien Engelmann n’arrive pas à recruter dans la fonction publique territoria­le. Il embauche des militants, souvent sans aucune compétence, il est obsédé par ceux qu’il appelle “les ultra-gauchistes”. Les opposants sont mutés, ceux qui font des commentair­es négatifs sur les réseaux sociaux ont une remarque dans la demi-heure. Personne n’ose plus rien dire. » Un délégué syndical Unsa, responsabl­e du service voirie, est devenu balayeur. Un cégétiste s’est fait traiter par le maire de « fraudeur » dans un courrier distribué à tout le personnel. La cour d’appel de Metz a confirmé la diffamatio­n en décembre dernier.

Le budget des frais de justice explose : 46 657 euros déjà dépensés par la municipali­té, d’après l’associatio­n Hayange, plus belle ma ville, dont 17 800 euros contre les dissidents frontistes et 13 843 euros contre des employés. Et le poste devrait encore augmenter. Le maire est parti en guerre contre le Secours populaire et menace de saisir le tribunal administra­tif. « Fabien Engelmann a supprimé notre subvention annuelle, coupé le gaz, l’électricit­é, et exige que nous quittions le local mis à dispositio­n par la mairie, indique Anne Duflot-Allievi, présidente du bureau d’Hayange-Nilvange. En septembre, un huissier est venu nous réclamer les clés, nous avons refusé de partir. » Le premier magistrat d’Hayange, devenu entre-temps conseiller régional, assume. « Les responsabl­es du Secours populaire font de la propagande gauchiste, ils n’ont qu’à aller s’installer dans une mairie communiste. » Dans son bureau, le maire a accroché des portraits de Brigitte Bardot, « une grande dame », et une photo de Jean Kiffer, « un visionnair­e », l’ancien maire d’Amnéville décédé en 2011, qui avait rebaptisé sa ville « principaut­é virtuelle de Stalheim », référence au nom donné après l’annexion allemande de 1871. Sur une étagère, un dictionnai­re français-arabe. « Un jeune d’Hayange me l’a offert. Je l’ai gardé. Vous voyez que je ne suis pas sectaire. »

“FABIEN ENGELMANN EST OBSÉDÉ PAR CEUX QU’IL APPELLE “LES ULTRAGAUCH­ISTES.” UN SALARIÉ DE L’HÔTEL DE VILLE

(1) Les prénoms ont été changés.

 ??  ?? 1 2 1 - Le maire, Fabien Engelmann, ex-syndicalis­te CGT. 2 - Une rue d’Hayange et la silhouette d’un ancien haut-fourneau. 3 - Une boucherie « discrèteme­nt » halal. 4 - Les locaux du Secours populaire, dont la subvention annuelle a été supprimée.
1 2 1 - Le maire, Fabien Engelmann, ex-syndicalis­te CGT. 2 - Une rue d’Hayange et la silhouette d’un ancien haut-fourneau. 3 - Une boucherie « discrèteme­nt » halal. 4 - Les locaux du Secours populaire, dont la subvention annuelle a été supprimée.
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