L’EXTRÊME DROITE PRÈS DE CHEZ VOUS
Peu de grands projets, de la provocation et du clientélisme : le maire d’Hayange applique la recette des municipalités FN. Reportage
C ’est une histoire banale de stationnement interdit. En centre-ville, juste devant la boucherie de la rue Charlesde-Gaulle, trois places sont désormais limitées à trente minutes et réservées aux taxis les jeudis matin, jours de marché. La quatrième a été réquisitionnée pour les handicapés, décision de la municipalité. C’est devenu un casse-tête pour se garer. Le boucher s’arrache les cheveux quand il doit décharger. Les PV s’accumulent. La dernière fois, il avait laissé sa Peugeot en double file, le long des taxis, warnings allumés, cinq minutes montre en main. La police municipale n’a rien voulu savoir. 135 euros d’amende. L’homme s’appelle Izret Baktas, vient du nord de la Turquie, et est installé depuis sept ans à Hayange. Commentaire du maire, Fabien Engelmann, coupe en brosse, jean serré : « Le côté communautaire, religieux, avec des panneaux géants marqués “halal”, genre on fait ce qu’on veut chez vous, voilà ce qui me dérange. »
Hayange, le fief historique de la famille Wendel, l’ancienne ville phare du nord de la Lorraine, la commune aux 17% de chômeurs, la cité aux carcasses rouillées de hauts-fourneaux qui ont craché leurs poussières plus d’un siècle durant avant d’être réduits au silence au printemps 2013… Aujourd’hui, la localité peut se targuer d’une nouvelle particularité : son maire frontiste. Aux dernières élections municipales, grâce à une quadrangulaire au second tour et à un taux d’abstention record, Fabien Engelmann l’a emporté avec à peine plus d’un tiers des voix, 2 300 bulletins pour une commune de 16 000 habitants. C’est un ancien syndicaliste CGT de 37 ans, employé auparavant comme plombier-chauffagiste par la municipalité de Nilvange. Fils unique d’un couple de Témoins de Jéhovah, végétarien et membre de la Fondation Brigitte Bardot depuis ses 13 ans, il a milité pour Lutte ouvrière et le NPA, avant de rejoindre le Front national à l’automne 2010. Son bilan à mi-mandat ? « Beaucoup de communication, peu d’actions, du clientélisme, quelques provocations pour faire le buzz, note Gilles Wobedo, 29 ans, président de l’association d’opposition Hayange, plus belle ma ville. C’est ce qu’on retrouve dans la plupart des dix nouvelles mairies d’extrême droite. »
Au milieu des années 1990, le parti des Le Pen avait eu du mal à se remettre des errements de gestion dans les villes remportées par ses troupes (Marignane, Toulon, Vitrolles…). L’immobilisme semble être le
mot d’ordre cette fois-ci. « Pas de dépenses à tout-va sur le dos des contribuables », revendique Fabien Engelmann. Juste quelques mesures symboliques : baisse de 2% de la taxe d’habitation, mise en place d’une fourrière animale, d’un pigeonnier, d’une navette gratuite pour les plus âgés, de festivités (bal du 14-Juillet, repas pour les anciens…) et renforcement de la police municipale, désormais équipée de caméras GoPro et d’un chien de berger malinois. « Il n’a aucune politique structurante, il fait de la proximité, indique le socialiste Michel Liebgott, député-maire de Fameck et président de la communauté d’agglomérations Val de Fensch. Il participe peu aux réunions plénières de l’agglo, il a refusé un projet intercommunal de mini-gare routière, mais il est toujours là pour serrer les mains des Hayangeois. »
Résultat, dans les urnes, la popularité du FN reste stable (2 299 voix aux départementales de mars 2015, 2 390 aux régionales de décembre). Et dans les rues, les satisfaits égrènent le même discours. Tour d’horizon au Grand Café, rue du Maréchal-Foch, l’artère commerçante d’Hayange. Kévin (1), 25 ans, agent d’entretien : « Les rues sont plus propres, il y a plus d’animation. » Didier, 60 ans, concierge : « Il y a plus de sécurité, la police est plus présente, nos impôts n’augmentent pas. » Vincent, 40 ans, chômeur : « Tout se passe bien. »
Les saillies anti-musulmans du premier magistrat ne semblent choquer personne. Quelques jours après son élection, Fabien Engelmann sort une autobiographie publiée par Riposte laïque, « Du gauchisme au patriotisme. Itinéraire d’un ouvrier élu maire d’Hayange », dans laquelle il étrille cette « nouvelle immigration » qui vient « bien souvent pour profiter des aides sociales sans travailler et pour imposer une idéologie religieuse moyenâgeuse ». Il instaure, dans la foulée, une Fête du Cochon, qui a encore accueilli une vingtaine de militants identitaires et de membres de Lorraine nationaliste lors de sa troisième édition, en septembre dernier. Il fait distribuer gratuitement des hot-dogs lors de la Saint-Nicolas. Il tente d’empêcher la deuxième boucherie halal de la ville d’ouvrir le dimanche. Il réserve un goûter de Noël aux familles bénéficiaires des minima sociaux, excluant, de fait, les migrants. Il envoie bouler son adjoint aux sports venu lui proposer des cours de danse orientale. « Il m’a répondu : “Tu es fou ? Et mes électeurs, tu en fais quoi ? La danse orientale n’est pas compatible avec le Front national” », raconte Patrick Hainy, 40 ans, cuisinier au régiment de transmission de Thionville. L’élu a rejoint l’opposition avec trois autres adjoints frontistes, destitués comme lui. La scission s’est faite sur fond d’irrégularités dans les comptes de campagne. D’abord condamné à un an d’inéligibilité par le tribunal administratif de Strasbourg, Fabien Engelmann a vu la sanction levée par le Conseil d’Etat. Il en a profité pour faire le ménage parmi les frondeurs. Le maire en est déjà à son troisième premier adjoint.
A l’hôtel de ville, l’étage occupé par la direction est devenu un bunker. Une porte vitrée fumée et un digicode ont été installés. Même les employés municipaux n’y accèdent librement qu’une heure par jour. « La totalité des directeurs, les huit dixièmes du personnel du centre communal d’action sociale (CCAS) sont partis, raconte un salarié. Fabien Engelmann n’arrive pas à recruter dans la fonction publique territoriale. Il embauche des militants, souvent sans aucune compétence, il est obsédé par ceux qu’il appelle “les ultra-gauchistes”. Les opposants sont mutés, ceux qui font des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux ont une remarque dans la demi-heure. Personne n’ose plus rien dire. » Un délégué syndical Unsa, responsable du service voirie, est devenu balayeur. Un cégétiste s’est fait traiter par le maire de « fraudeur » dans un courrier distribué à tout le personnel. La cour d’appel de Metz a confirmé la diffamation en décembre dernier.
Le budget des frais de justice explose : 46 657 euros déjà dépensés par la municipalité, d’après l’association Hayange, plus belle ma ville, dont 17 800 euros contre les dissidents frontistes et 13 843 euros contre des employés. Et le poste devrait encore augmenter. Le maire est parti en guerre contre le Secours populaire et menace de saisir le tribunal administratif. « Fabien Engelmann a supprimé notre subvention annuelle, coupé le gaz, l’électricité, et exige que nous quittions le local mis à disposition par la mairie, indique Anne Duflot-Allievi, présidente du bureau d’Hayange-Nilvange. En septembre, un huissier est venu nous réclamer les clés, nous avons refusé de partir. » Le premier magistrat d’Hayange, devenu entre-temps conseiller régional, assume. « Les responsables du Secours populaire font de la propagande gauchiste, ils n’ont qu’à aller s’installer dans une mairie communiste. » Dans son bureau, le maire a accroché des portraits de Brigitte Bardot, « une grande dame », et une photo de Jean Kiffer, « un visionnaire », l’ancien maire d’Amnéville décédé en 2011, qui avait rebaptisé sa ville « principauté virtuelle de Stalheim », référence au nom donné après l’annexion allemande de 1871. Sur une étagère, un dictionnaire français-arabe. « Un jeune d’Hayange me l’a offert. Je l’ai gardé. Vous voyez que je ne suis pas sectaire. »
“FABIEN ENGELMANN EST OBSÉDÉ PAR CEUX QU’IL APPELLE “LES ULTRAGAUCHISTES.” UN SALARIÉ DE L’HÔTEL DE VILLE
(1) Les prénoms ont été changés.