DES OPTIONS ÉCONOMIQUES TOUJOURS PAS CRÉDIBLES
Euro, protectionnisme, Etat stratège : des économistes passent au crible les principales options mises sur la table par le FN pour sortir la France du marasme
Ils sont ultra-disponibles, retournent vos appels dans l’heure, répondent patiemment. Les économistes de Marine Le Pen soignent leur image de « pros », jusque dans leur costume trois pièces. Jean Messiha, l’énarque qui coordonne le programme, met en avant sa thèse sur « les politiques budgétaires face aux traités de Maastricht et d’Amsterdam » (1990). Bernard Monot rappelle son expérience de banquier à la Caisse des Dépôts et mentionne un tête-à-tête avec le gouverneur de la Banque de France, privilège que lui donne sa fonction de député européen. Mikael Sala, ex-élève en math sup au prestigieux lycée Janson-de-Sailly, batteur de groupes de rock et producteur du chanteur Gérald de Palmas, s’appuie sur son expérience de patron de PME pour animer le réseau d’entrepreneurs Croissance Bleu Marine. Philippe Murer, chargé aussi de la transition énergétique, est à tu et à toi avec l’économiste Jacques Sapir. Ex-conseiller d’Edgar Faure, élu des Hauts-de-France, Jean-Richard Sulzer a profité des trajets en voiture vers Hénin-Beaumont pour faire
découvrir à Marine Le Pen les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman, classés à gauche mais très critiques sur la politique économique européenne. Cette équipe a concocté un programme qui veut parler aux Français : plus de protection, plus de services publics, plus de frontières, plus de pouvoir d’achat, grâce à la sortie de l’euro. Un véritable attrape-tout.
RETOUR AU FRANC
Marine Le Pen est très claire : « L’euro vit ses derniers jours », dit-elle en citant Joseph Stiglitz. Ce n’est pas elle qui le sauvera. Mais pas de panique, assure Jean-Richard Sulzer, qui prépare avec Bernard Monot son premier sommet européen si elle était élue à l’Elysée. « Les choses seront moins brutales qu’on ne le pense. Temps 1 : on négocie, précise-t-il, campant Marine Le Pen en nouvelle Theresa May. Temps 2 : on revient à l’écu de l’accord de Brême [1978]. » En clair, un franc avec une parité fixe, mais ajustable, face aux autres monnaies de la zone euro, et l’euro pour les échanges extérieurs. « L’euro est surévalué pour notre économie. Le franc pourra s’ajuster, par une réévaluation du Deutsche Mark par exemple. » Si la négociation échoue, un référendum sera organisé sur la sortie de l’euro et de l’Union européenne. « La liberté, quitter papa-maman, ça fait toujours un peu peur », sourit Jean Messiha, prêt à passer du pilotage automatique via Bruxelles au « pilotage manuel, en fonction des circonstances ».
Ils sont plus nombreux qu’en 2012 à s’interroger sur la viabilité de l’euro. L’OFCE, un institut de conjoncture indépendant, fera tourner ses modèles avant la présidentielle pour évaluer le coût d’une sortie. Une première. Patrick Artus, économiste de la banque Natixis, vient de publier « Euro, par ici la sortie ? » (Fayard). Pour lui, l’euro, gangrené par le « poison du dogmatisme », est « une machine à fabriquer de la croissance faible ». Alors, finissons-en ? Pas si facile, précisent-ils, car cette solution serait pire que le mal : « Quitter l’euro, c’est s’appauvrir irrésistiblement. » La France et ses entreprises devraient rembourser une dette en euros qui coûterait plus cher avec un franc dévalué. Ennuyeux pour un parti qui veut « se débarrasser de l’esclavage de la dette ». Sans parler du prix des importations et de la concurrence de l’Italie et de l’Espagne qui dévalueraient encore plus…
LE PROTECTIONNISME
La herse ne tombera pas bêtement aux frontières de la France. Les économistes du FN préfèrent un « protectionnisme intelligent ». « D’abord la protection monétaire », la baisse du franc, précise Jean Messiha. Ensuite, le pilotage de la TVA, que les importateurs ne pourraient plus déduire sur les produits importés. Ou encore l’instauration d’une contribution pour le rétablissement d’une concurrence loyale, une forme de droit de douane (environ 3%) compensant le dumping fiscal et social pratiqué par certains pays. Ces revenus financeraient un complément de 200 euros pour les salaires les plus faibles. Enfin, il s’agit du « patriotisme économique » : obligation d’étiquetage sur la provenance des produits, « clause Molière » (voir p. 47) ou priorité aux produits français dans les marchés publics « tant que le différentiel de prix est inférieur à 25% »…
Le hic, explique Patrick Artus, c’est que la dépréciation de l’euro ou la mise en place de droits de douane « n’influence plus guère le volume des importations, mais en fait seulement monter les prix » car les entreprises ont « segmenté leur chaîne de valeur ». La mondialisation est là : certains éléments sont fabriqués en France, d’autres sont importés, et ces derniers, « dans la grande majorité des cas, n’ont plus de substituts fabriqués localement ». Il faudrait du temps et beaucoup d’argent pour inverser la tendance. Qu’à cela ne tienne. Bernard Monot, qui se rêve en gouverneur de la Banque de France, promet 100 milliards d’euros de création monétaire pour réindustrialiser. Risqué.
L’ÉTAT STRATÈGE
Oublié le poujadisme et le libéralisme du parti de Jean-Marie Le Pen, qui se comparait à Reagan. Marine n’a que le mot Etat à la bouche. Les fonctionnaires, notamment ceux des impôts, sont loués pour leur e cacité et non plus dénoncés comme « pires que l’Inquisition » (Jean-Marie Le Pen). On réclame plus d’Etat, pour réduire les délais de paiement entre entreprises, pousser les banques à prêter aux PME, obliger les compagnies d’assurances à investir dans les start-up (malgré le risque lié à ce placement), doubler les montants consacrés à la recherche ou surveiller l’emploi, en transformant le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi de François Hollande) en allégements de charges sous condition… Marine Le Pen ne jure plus que par Colbert et ses manufactures publiques. Bernard Monot a beau répéter : « Nous sommes d’authentiques libéraux au niveau national et en faveur d’un protectionnisme intelligent à l’extérieur », Olivier Dard, professeur d’histoire à la Sorbonne, note que « le FN d’aujourd’hui, avec son discours antilibéral, est plus conforme aux droites radicales d’hier ».
La Cour des Comptes et l’ancien patron de l’Agence des Participations de l’Etat, David Azéma, viennent de faire un bilan peu flatteur de l’Etat actionnaire. « Les entreprises à capital public s’a aiblissent à long terme dans la compétition mondiale et, in fine, la base financière et surtout industrielle de notre pays s’en trouve a ectée », tranche Azéma. Pas glorieux ! Xavier Ragot, président de l’OFCE, un institut de prévision « keynésien », et donc pas hostile à l’intervention de l’Etat, se méfie aussi de l’omniprésence des acteurs publics sans feuille de route claire. Il note que les défaillances d’entreprises diminuent, que, CICE oblige, les PME ont retrouvé leur niveau de marges d’avant crise. Il souligne le danger de soutenir des « entreprises zombies » au nom de l’emploi, une politique qui a plongé l’Italie dans une nouvelle crise bancaire.