L'Obs

Vila-Matas et moi

VOYAGE AVEC VILA-MATAS, PAR ANNE SERRE, MERCURE DE FRANCE, 148 P., 14 EUROS.

- DIDIER JACOB

Ça commence comme un roman de l’écrivain espagnol Enrique Vila-Matas. Dans « Impression­s de Kassel », ce maître des illusions racontait un épique et burlesque voyage à la Documenta, la foire mondiale de l’art contempora­in, où il avait été convié à donner une performanc­e. Invitée, quant à elle, à un festival littéraire à Montauban, Anne Serre (photo) hésite (comme Vila-Matas) avant de partir en voyage : « D’une certaine manière Montauban est Caracas pour moi », explique-t-elle. N’importe, elle saute finalement dans le train et s’embarque pour un voyage loufoque en compagnie du fantôme de Vila-Matas, un écrivain qu’elle place tout au sommet. Non pas au même étage que Kafka ou Proust – ceux-là sont à ses yeux des saints, et Vila-Matas est encore trop vivant pour être canonisé. « Si je pensais à Vila-Matas, une cité d’or s’installait en moi, non pas que Vila-Matas soit aussi parfait que Walser ou Kafka, non, et cela, il le sait bien, il le sait parfaiteme­nt, mais il est parmi les écrivains le mieux que l’on puisse être aujourd’hui, car aujourd’hui […] la sainteté en art nous est refusée. C’est comme une condamnati­on. Nous avons été chassés du paradis. » Dans le train, Anne Serre relit donc « Impression­s de Kassel ». Elle n’est, du reste, qu’à moitié surprise quand Vila-Matas, en chair en os, se retrouve avec elle à Montauban, partageant le même hôtel – mieux, échangeant avec elle quelques mots à travers la cloison de leurs chambres mitoyennes. Deux textes plus courts suivent cette formidable entrée en matière, où Anne Serre raconte comment, au cours d’un nouveau voyage ferroviair­e (le Clermont-Paris) où elle en profite pour relire « Docteur Pasavento », autre grand livre du romancier espagnol, elle décide d’en finir avec Vila-Matas. Une véritable désintoxic­ation qu’elle narre avec un accent parodique irrésistib­le. On a compris que « Voyage avec Vila-Matas » était un délectable exercice de mimétisme littéraire. Car Anne Serre réussit à reproduire, presque à l’identique, la manière faussement négligée et merveilleu­sement spirituell­e de Vila-Matas. Romancière aussi discrète qu’accomplie, Anne Serre s’amuse. Son livre est une pièce d’orfèvrerie, dont le mécanisme est, en soi, un enchanteme­nt.

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