L'Obs

Moi, Jackie Kennedy

JACKIE, PAR PABLO LARRAIN, DRAME AMÉRICAIN, AVEC NATALIE PORTMAN, PETER SARSGAARD, GRETA GERWIG, BILLY CRUDUP, JOHN HURT (1H40).

- PASCAL MÉRIGEAU

Alors qu’elle vient de lui livrer le récit du drame du 22 novembre à Dallas et des sentiments qu’il lui a inspirés, Jacqueline Bouvier Kennedy met en garde le journalist­e : « Ne croyez pas un instant que je vais vous laisser publier ça. » Sur l’écran, le visage de Natalie Portman (photo) s’affiche alors en gros plan, et c’est comme si Jackie Kennedy plongeait son regard dans celui du spectateur qui se trouve en situation de sonder l’insondable. Insondable, la douleur de cette femme dont le mari vient d’être tué sous ses yeux, à peine une semaine auparavant. Insondable, le mystère de celle qui fut une icône de son temps, photograph­iée, filmée, interrogée sans relâche pendant des années, et dont on ne sait presque rien, tant elle a tout contrôlé, à commencer par ellemême. Le désir de contrôler, voilà précisémen­t ce qui l’a conduite à provoquer cet entretien avec Theodore H. White. Un journalist­e dont le film ne donne pas le nom, de même qu’il ne cite aucune des sources ayant permis au scénariste Noah Oppenheim de composer cet extraordin­aire portrait d’une femme blessée, torturée par la douleur, engluée dans le désarroi, qui erre en son palais, se gorge de vodka, se bourre de calmants et, en dépit de tout, à aucun moment ne perd pied, gardant sa contenance, son éclat intact. Une scène, parmi beaucoup d’autres, est éblouissan­te : Jackie Kennedy annonce à ses enfants que leur père ne reviendra jamais. Natalie Portman fait alors montre d’une maîtrise très impression­nante.

Remarquabl­e également, la très habile utilisatio­n de l’émission « Une visite de la Maison-Blanche avec Mrs. John Kennedy », enregistré­e et diffusée moins de deux ans avant Dallas (oui, la présidence Kennedy fut brève, sans doute l’avait-on oublié), qui augmente l’effet de réalité créé par le film. Lequel n’est pas un « biopic », il s’agirait même plutôt d’un « anti-biopic », qui dessine un portrait infiniment convaincan­t et intègre une sorte de connaissan­ce subliminal­e de Jackie Kennedy, formée de tout ce que le spectateur sait déjà d’elle, et de tout ce qu’il croit savoir. Alors, oui, Natalie Portman est Jackie Kennedy. Et désormais, Jackie Kennedy est Natalie Portman. C’est en cela que se mesure la réussite exceptionn­elle du film, oeuvre d’un cinéaste qui a donné il y a quelques semaines seulement, avec « Neruda », une autre preuve de ce qu’il est l’un des plus doués d’aujourd’hui.

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