Les Ménuires, “archi” tendance
La grande station familiale des Trois Vallées concentre tous les atouts du sport d’hiver. Retour sur une “success-story” cousue de fil blanc
Jusqu’aux années 1960, la vallée des Belleville ressemblait à un film muet à l’heure du Technicolor : on y dormait avec les bêtes pour se chauffer, on faisait les foins à la main qu’on montait à dos de boeuf au temps des pastorales. Une expression résume bien l’âpreté de l’existence dans ces alpages longtemps oubliés du progrès (l’électricité n’est arrivée qu’en 1953) : « Sept mois d’hiver, cinq mois d’enfer. » D’interminables mois froids et blancs suivis d’un été court et laborieux pendant lesquels les femmes et les enfants trimaient à la cuisine et préparaient le beurre, le pain et le fromage ; les bergers, eux, défrichaient, débroussaillaient, fauchaient, engrangaient. Tout le monde se couchait tard et se levait avant l’aube, « quand le pantalon au clou bougeait encore ». La vie y était si dure que les jeunes Savoyards affectés d’un goitre acquéraient une sorte de prestige : eux, au moins, échappaient au service militaire.
Cinquante ans plus tard, du sommet de la pointe de la Masse, qui offre un panorama sur le mont Blanc et les Trois Vallées, on mesure ce qu’il fallut d’audace pour faire du plateau des Ménuires ce qu’il est aujourd’hui : 26 000 lits touristiques, 86 pistes réparties sur 160 kilomètres, un paysage architectural hors norme bâti à 1 850 mètres d’altitude pour favoriser la neige pour tous. Loin des considérations forcément subjectives du « beau » ou du « laid », les Ménuires et ses grands ensembles de béton, imaginés dans les années 1960 par les pionniers de « l’or blanc », ont ce charme brut et minéral des loisirs conçus pour être fonctionnels, pragmatiques, abordables et sans chichis. Bien loin de la folklorisation de la Savoie et de ses mignonneries faussement locales, comme ces chalets « suisses » en bois verni qui poussent
désormais comme des champignons sur toute la vallée alpine. Parce qu’aux Ménuires, à la place du Brelin, ce majestueux paquebot corbuséen signé des architectes Douillet et Maneval et lauréat en 2012 du label « Patrimoine du siècle », il n’y avait rien. Rien qu’un plateau vierge et pelé par les vents, parsemé de rares alpages cloués de quatre planches.
Le développement des « cités urbaines d’hiver », soutenues et financées par l’Etat et les collectivités locales à travers un plan neige national, fut pour la commune de Saint-Martin-de-Belleville une question de survie, tant l’exode rural menaçait d’enterrer définitivement la vallée. C’est le maire de l’époque, le fougueux Nicolas Jay, qui sera l’artisan de cette mutation parfois di cile à accepter pour les générations d’agriculteurs accrochés à leurs terres autant qu’à leurs traditions. Bon sens paysan ne ment jamais : « C’est moche, mais ça marche », dirent-ils à l’hiver 1964-1965, à la vue des premières infrastructures destinées au tourisme de masse. Hélas, les années 2000 ont peu à peu enterré l’objectif du « ski pour tous » en détruisant le village VVF Le Solaret, puis celui de l’hôtel Les Clarines, ancienne propriété de la Caisse de Prévoyance du Personnel des Organismes sociaux et similaires (CPPOSS). Aujourd’hui, ces deux bâtiments emblématiques de la station ont été remplacés par des résidences de prestige en bois et pierre. Dans un pur « style savoyard ».