L'Obs

Voyage en France (5/16)

« Ce pays a un problème avec l’argent. » Rencontre avec les traders de la Défense

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I ls sont opérateurs de marché, courtiers, gestionnai­res d’actifs. A Paris, ils gravitent entre les grandes banques du 8e arrondisse­ment et les gratte-ciel adamantins de la Défense et disent leur ras-le-bol. « On en a un peu marre d’être les boucs émissaires de la gauche, du FN et d’une partie de l’opinion publique », lance Cédric, 35 ans, asset manager dans un groupe financier, croisé au Valmy, la brasserie de l’esplanade de la Défense, au pied de l’immense tour Société générale congelée par l’hiver. Il cite cette fameuse phrase prononcée par le candidat Hollande en 2012, « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance », et regrette « qu’elle ait fait beaucoup pour son élection ». « Hollande essayait, de manière démagogiqu­e, de marcher sur les traces de Mitterrand qui parlait déjà de “l’argent qui corrompt” [dans un discours de 1971, NDLR] », renchérit Philippe, financier et ancien de l’école ESCP Europe. Certes, cet élégant quadragéna­ire convient que la crise des subprimes a jeté le discrédit sur la profession. « Mais, en vingt-cinq ans de métier, j’ai croisé une majorité de gens honorables et quelques rares salauds. » Et puis, selon lui, « on oublie trop que c’est un outil indispensa­ble pour financer l’économie mondiale, donc contribuer à créer de la richesse. » Philippe rêve d’une France qui « attirerait à nouveau les investisse­urs ». Traduire : qui jetterait aux oubliettes l’impôt sur la fortune (ISF). « Les détenteurs de capitaux ne comprennen­t pas pourquoi on taxe les actifs, autrement dit ce qui permet de financer la dynamique des entreprise­s. C’est antiéconom­ique. » Et, si Philippe a voté Juppé aux primaires de la droite, il croise les doigts pour que la présidenti­elle de 2017 oppose en finale Fillon et Macron, « deux personnali­tés cohérentes »… et hostiles toutes les deux à l’ISF.

Bien sûr, l’affaire Pénélope Fillon l’a choqué : « Ça me consterne, oui. Maintenant, je suis pragmatiqu­e, ça ne m’empêchera peut-être pas de voter pour lui. Il y a des casseroles plus graves. » Globalemen­t, si le coeur de la Défense apprécie, comme Philippe, le dynamisme de Macron, il continue de palpiter plutôt pour Fillon et son thatchéris­me décomplexé. « Macron est intéressan­t, c’est un ancien banquier d’affaires, donc je suppose qu’il ne tombera jamais dans la diabolisat­ion inepte de la finance, juge Cédric, aux yeux bleus flamboyant­s. Mais il sera retenu par son électorat de gauche. Fillon, non. » Même si, c’est à noter, Cédric (comme d’ailleurs la dizaine de personnes que « l’Obs » a interrogée­s) n’affiche pas d’enthousias­me particulie­r pour les coupes nettes dans les effectifs de la fonction publique promises par Fillon. « Est-ce que la France a besoin de 500 000 fonctionna­ires en moins ? Je n’en suis pas sûr, confirme David, 32 ans, responsabl­e de la communicat­ion financière dans un grand groupe bancaire. En revanche, un électrocho­c, oui. Ce pays est structurel­lement socialiste, il a un problème avec ceux qui gagnent de l’argent. Comme si le succès de ceux qui ont pris des risques les rendait un peu envieux. » Cette « culture du risque », dynamique, contre celle, frileuse, « de l’épargnant », ce trentenair­e n’est pas tout à fait certain que François Fillon la portera s’il arrive aux affaires. Mais il veut « y croire ».

Chez tous les interrogés ou presque, l’aveu surgit de toute façon très rapidement. « Vous savez, pour nous, quel que soit celui qui prendra l’Elysée, cela ne changera pas grand-chose. Nos métiers sont en interactio­n permanente avec New York et Tokyo, balaie Karim, 36 ans, conseiller en investisse­ment dans un groupe bancaire. Les règles de fonctionne­ment sont internatio­nales, et ni Fillon ni Hamon ne peuvent modifier cela. » Et Mélenchon ou Le Pen? Le jeune banquier en cravate rose hausse les épaules avec un sourire en coin. « On est très au-dessus d’eux. »

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La courbe de la chute de l’euro après le déclasseme­nt de la France par Standard & Poor’s (2012).

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