Penelope et la « revue des deux fiches »
Le contrat signé entre Mme Fillon sous son nom de jeune fille et le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière n’a fait naître dans la “Revue des deux mondes” que deux articles pour 100 000 euros de salaire au total. Le scandale secoue l’institution et son
Les policiers de l’Office central de Lutte contre la Corruption et les Infractions financières et fiscales (OCLCIFF) avaient mené en mai de l’année dernière l’« opération Tulipe », nom de code des très sensibles investigations visant Google pour fraude fiscale. Cette fois, voilà les mêmes hommes engagés dans « l’enquête Penelope », comme ils désignent le dossier de l’épouse de l’ancien Premier ministre François Fillon. Ce jeudi 26 janvier 2017, les enquêteurs avancent sous le porche du 97 de la rue de Lille, à deux pas de l’Assemblée nationale et de la rue de Solférino, où depuis des lustres se niche la « Revue des deux mondes ». La prestigieuse publication intellectuelle fondée en 1829 est la propriété depuis un quart de siècle de l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière. La police dans un lieu pareil, c’est une confrontation glaçante. Deux mondes. « Nous étions tous là, ils sont montés ici au troisième étage », rapporte, encore un peu sidéré, un témoin de la scène. Tout est mené tranquillement, sans incident et même avec le sourire du maître des lieux, venu de ses bureaux tout proches, comme s’il convenait de saluer convenablement ces hôtes de marque venus sans s’être annoncés.
Des traces de Penelope à la «Revue des deux mondes »? Curieusement, et comme personne ne l’a relevé jusque-là, on en trouve d’abord dans un exemplaire très récent du mensuel. En novembre, dans un éditorial consacré à celui qui vient alors de remporter la primaire de la droite, surgit cette saillie : « Qui, parmi les prétendants au trône de l’Elysée, pourra défier sérieusement le mari de Penelope (François Fillon) et la madone des exclus, Marine Le Pen? », s’interroge Valérie Toranian, directrice de la revue depuis 2015. L’étonnante apparition, jure-t-on aujourd’hui à la revue, n’avait aucune autre signification qu’un clin d’oeil à l’un des articles alors au sommaire : un chroniqueur avait été inspiré par ce prénom d’héroïne grecque, conquise par Ulysse. Un hasard donc, comme ceux que les affaires réservent parfois. Ou un acte manqué.
La mythologie n’a pas sa place dans les secrets de la comptabilité du groupe Fimalac, la holding créée par Marc Ladreit de Lacharrière en 1991, qui détient 20% de l’agence de notation financière Fitch, le groupe Webedia, la salle Pleyel, les Zénith de province, et qui produit Gad Elmaleh ou Johnny Hallyday. L’épouse du candidat de la droite à l’élection présidentielle n’y apparaît que sous son nom de jeune fille. C’est Penelope Clarke qui a signé le contrat d’une demi-douzaine de pages avec l’homme d’affaires pour une mission de conseiller littéraire de mai 2012 à décembre 2013 payée 5000 euros par mois. L’affaire ne semble pas si confidentielle puisque François Fillon lui-même, dans sa déclaration d’intérêt et de patrimoine signée le 24 janvier 2014, inscrit clairement dans la case dédiée à la profession du conjoint : « collaborateur “Revue des deux mondes” ». Tout semble clair et légal. Seule ombre au tableau : Michel Crépu, directeur du mensuel au moment des faits, découvre l’existence de cette fonction en lisant « le Canard enchaîné » de la semaine dernière. L’équipe du mensuel était pourtant restreinte, mais « je n’ai jamais rencontré Penelope Fillon, je ne lui ai jamais parlé, je ne l’ai jamais vue », tranche-t-il. Seules deux productions sont arrivées jusqu’à lui, sur la recommandation directe de Marc Ladreit de Lacharrière. Il s’agit de deux fiches de lecture, la première du romancier Lucien Azay. La seconde, d’un essayiste, William Marx. 100 000 euros pour deux notes de lecture? Les pigistes qui signaient à cette période recevaient, selon plusieurs témoignages, 150 euros par fiche. Soit 333 fois moins… Deux mondes.
Dans l’entourage de la 32e fortune française, avec ses 2,2 milliards d’euros, on s’irrite : « Les journalistes cherchaient une raison de dire du mal de lui depuis vingt ans, et ils l’ont enfin trouvée! » Avant ce scandale, « MLL » n’avait droit qu’à des éloges et des sourires. Mis à part Nicolas Sarkozy, qu’il déteste depuis qu’il l’a empêché de racheter le quotidien « les Echos », il n’a que des amis dans les sphères politiques, y compris François Hollande qui le reçoit régulièrement. La « Revue » est assez prestigieuse pour lui permettre d’organiser des dîners mensuels avec le Tout-Paris : « C’est là que j’ai connu tous les hommes politiques », raconte lui-même l’homme d’affaires à « l’Obs ». Les rendez-vous du cercle de la « Revue des deux mondes » se tiennent dans un salon de l’hôtel George-V et débutent de façon immuable par une présentation croisée au micro de l’hôte puis de son invité. Nicolas Sarkozy comme Dominique de Villepin y sont venus. Ou encore Anne Hidalgo, Bruno Le Maire, Valéry Giscard d’Estaing et Emmanuel Macron. Et plusieurs fois François Fillon qu’il connaît depuis plus de vingt ans, compagnon de route de son grand ami Philippe Séguin. Le public du cercle est, depuis la nuit des temps, composé de hauts fonctionnaires, diplomates, capitaines d’industrie, avocats… On y échange sur l’avenir du monde et de ses propres affaires.
« Ladreit de Lacharrière est comme ça. Il pose des questions sans arrêt, il est saisi par mille préoccupations et déjeune avec autant de journalistes que de décideurs », note l’ancien patron du « Point », FranzOlivier Giesbert. Le journa-
“JE N’AI JAMAIS RENCONTRÉ PENELOPE FILLON. JE NE LUI AI JAMAIS PARLÉ, JE NE L’AI JAMAIS VUE.” MICHEL CRÉPU, EX-DIRECTEUR DU MENSUEL