L'Obs

Présidenti­elle

Fillon peut-il tenir?

- Par CAROLE BARJON

Mercredi 25 janvier, 18h15. L’avion qui le ramène de Bordeaux vient à peine de se poser que François Fillon file à son QG pour une première vraie réunion de crise. La veille au soir, lorsqu’ont fuité les premières révélation­s du « Canard enchaîné » sur les emplois de sa femme Penelope comme assistante parlementa­ire et chroniqueu­se à la « Revue des deux mondes », il avait envisagé d’annuler son déplacemen­t. Avant de se raviser. Prévue de longue date, cette visite dans la ville d’Alain Juppé était destinée à démontrer l’unité de la famille des Républicai­ns avant le grand meeting de la Villette le dimanche suivant. Impossible de s’y soustraire, sauf à donner le sentiment qu’il serait gagné par la panique.

Certains dans l’équipe suggèrent alors la tenue d’une conférence de presse, en direct de Bordeaux, ce mercredi en début d’aprèsmidi. Idée vite abandonnée. Le candidat Fillon n’y tient guère et il ne veut pas pourrir un peu plus le programme préparé par Juppé. Visage fermé et mâchoires serrées, poursuivi par une horde de journalist­es, il honorera finalement les étapes prévues par son hôte dans une atmosphère surréalist­e…

Lorsqu’il atterrit enfin à Paris, François Fillon s’enferme aussitôt avec quelques proches et son avocat Antonin Lévy. Au téléphone, dans l’après-midi, il a déjà refusé la suggestion de quelques-uns de se rendre le soir même au 20-heures de TF1. Fatigué, il préfère attendre le lendemain et bien préparer sa riposte. Chez les parlementa­ires de droite, certains s’inquiètent ouvertemen­t : va-t-il tenir ? Ce mercredi, jour de la parution en kiosques du « Palmipède », d’autres se posent la même question à propos de son épouse. Déjà, la rumeur enfle sur un éventuel forfait du candidat. Au point que Juppé croit devoir préciser qu’il exclut « définitive­ment » d’être un recours. Mais de la déclaratio­n du maire de Bordeaux, on retient surtout la conclusion : « C’est évidemment préoccupan­t », et le dernier commentair­e : « A l’instant T, la question ne se pose pas »…

Nouveau conseil de guerre, le jeudi 26 dans l’après-midi, pour peaufiner sa prestation au journal de TF1. Il y a là Anne Méaux, patronne de l’entreprise Image7, qui pilote la communicat­ion, Bruno Retailleau, Patrick Stéfanini, directeur de campagne, Myriam Lévy, son ex-conseillèr­e presse à Matignon, entre autres. Tout le monde est d’accord: Fillon doit d’abord « faire le chef ». Le raisonneme­nt de l’équipe est simple… mais un peu daté: ni les indélicate­sses, ni les entorses à la morale, ni même les gros scandales n’ont jamais empêché un homme politique d’accéder à l’Elysée. En 1981, argue-t-on, François Mitterrand avait réussi à faire oublier la vieille affaire de l’Observatoi­re, qui avait empoisonné sa première carrière. Même chose pour Jacques Chirac, ami de Rafiq Hariri, qui a surmonté l’affaire de la cassette Méry ou celle des emplois fictifs de la mairie de Paris. Quant à Sarkozy, il a enlevé la présidence de l’UMP bardé de plusieurs mises en examen. Tous ceux-là ont survécu parce qu’ils étaient d’abord perçus par leur électorat comme des hommes forts. Fillon est donc prié de « cheffer ». Par ailleurs, on songe sérieuseme­nt à «faire monter» Penelope Fillon dans les médias, idée qui sera abandonnée le lendemain.

On suggère surtout au candidat de prendre les devants en demandant à être entendu très vite par la justice. On lui conseille aussi de déminer de possibles futures révélation­s en expliquant luimême que ses enfants avaient été employés et rémunérés par le Parlement lorsqu’il était sénateur. Autour de la table, personne ne se doute que, sur TF1, quelques heures plus tard, Fillon va s’enferrer un peu plus en parlant de ses fils « avocats », alors qu’ils étaient, à l’époque, étudiants en droit. Personne, ou presque, ne se doute non plus qu’il va lancer un véritable défi à la justice en affirmant que la « seule chose » qui l’« empêcherai[t] d’être candidat» serait d’être « mis en examen ». Sous-entendu : si vous le faites, vous prenez la responsabi­lité de détruire le candidat de la droite républicai­ne, et de faire le lit du Front national. Un vrai coup de poker. Fillon a fait son coup seul. Comme souvent.

Quelles que soient les conséquenc­es judiciaire­s de ces affaires, les dégâts politiques sont là. Légaux ou pas, les petits arrangemen­ts de François Fillon percutent de plein fouet son image. L’homme qui fut « à la tête d’un Etat en faillite » n’était pas seulement l’anti-Sarkozy en matière de rigueur budgétaire. Il s’était forgé une stature de grand commis qui ne plaisante ni avec les deniers de l’Etat ni avec la morale. Un homme austère, au comporteme­nt en tous points exemplaire, loin des profiteurs du système. On l’imaginait presque, tel le général de Gaulle dans la légende, remboursan­t l’Elysée pour des repas pris en famille. La « rupture d’image », comme disent les communican­ts, est totale et dévastatri­ce. Fillon avait mis un soin jaloux à ne pas être associé à l’argent comme

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un vulgaire Sarkozy. Le voilà soupçonné d’avoir confondu la politique avec une entreprise familiale.

Une première rupture d’image en entraîne fatalement une seconde. Où est le rapport entre l’homme qui honnit le « people » et celui qui s’offre une entrée « à l’américaine », main dans la main avec son épouse, au meeting de la Villette dimanche dernier? Où est le rapport entre l’homme hostile à l’air du temps médiatique, qui érigeait le sérieux, la pudeur et la sobriété au rang de valeurs suprêmes et celui qui exploite à fond le registre de l’émotion? Où est le rapport entre le Fillon qui affichait une moue dédaigneus­e face à un Sarkozy avouant publiqueme­nt son amour pour Cécilia ou pour Carla et le Fillon qui lance un « Je veux dire à Penelope que je l’aime » devant 15000 personnes à la Villette?

Pour l’ancien Premier ministre, la déflagrati­on est d’autant plus forte qu’elle survient à un moment où la droite était en proie au doute sur sa capacité à entraîner derrière lui et à susciter de l’empathie. Au lendemain de son triomphe à la primaire, le vainqueur disparaît des écrans. Normal. Il doit prendre les rênes du parti et installer son équipe de campagne. Au-delà de ses fidèles de toujours, les partisans d’Alain Juppé et de Bruno Le Maire sont à l’honneur. Ecartés sans ménagement, les sarkozyste­s ne disent mot et attendent leur heure.

Premier couac pourtant avec sa petite phrase sur l’assurance-maladie, en réponse à Alain Juppé dans le débat de l’entredeux-tours de la primaire, qui le poursuit.

Aurait-il l’intention de mettre à bas notre système de protection sociale? Certains seront-ils moins bien remboursés que d’autres? Les propos de son porte-parole Jérôme Chartier sur les « petits rhumes et les gros rhumes » ajoutent à la confusion. Certains dans son entourage ont beau lui conseiller de tout lâcher, d’autres, lui répéter qu’il n’a pas été élu pour son programme libéral, rien n’y fait. L’orgueilleu­x Fillon ne veut pas se renier, ce qu’il fera pourtant six semaines de tergiversa­tions plus tard… Pour l’heure, il choisit donc… de ne pas choisir. Après la publicatio­n d’une tribune incompréhe­nsible et bien discrète dans « le Figaro » avant les vacances de Noël, puis l’annonce d’une convention sur le sujet en janvier, Fillon part skier.

A son retour, rien n’est réglé. Le pataquès sur la Sécu lui colle à la peau. Après un saut à Las Vegas début janvier, il débute –mal– sa campagne nationale dans les Alpes-Maritimes, fief sarkozyste, où le très droitier Christian Estrosi lui inflige une leçon de gaullisme social. La visite menace de mal tourner avec un Fillon qui n’adresse ni la parole ni un regard aux journalist­es qui le suivent. Son entourage devra supplier le candidat pour qu’il consente à se prêter au jeu médiatique.

Parallèlem­ent, à l’Assemblée nationale, rien ne va plus. Les députés LR, qui devront se soumettre à la nouvelle loi sur la limitation du cumul, ne sont pas pressés de choisir entre leurs mandats. Leur résistance, savamment orchestrée par les sarkozyste­s, complique et retarde les discussion­s sur les investitur­es. Au risque de donner le senti-

ment que le candidat à la présidenti­elle ne tient pas les parlementa­ires. Inflexible, Fillon tient bon et tranche: il ne remettra pas en cause la loi.

Au QG et dans les fédération­s, les choses sont plus compliquée­s qu’il n’y paraît. La nouvelle équipe Fillon n’est pas homogène. Il faut faire travailler ensemble des élus et des collaborat­eurs à la sensibilit­é différente. Pas évident, à en juger par la musique parfois dissonante des très –trop – nombreux porte-parole du candidat. Bref, ça flotte.

Du coup, les règlements de comptes affleurent, attisés par des sarkozyste­s revanchard­s restés sur le banc de touche. Tantôt, c’est la faute à la cellule « com », tantôt, à la direction de campagne. Comme toujours dans ces cas-là, il faut plutôt chercher du côté du numéro un. Depuis sa victoire à la primaire de la droite, tout se passe comme si Fillon s’était reposé sur ses lauriers. Comme s’il s’en était remis à l’intendance. Solitaire, soucieux de se ménager des plages de liberté, cet amateur de course automobile distribue son affection et son amitié, voire sa cordialité avec parcimonie. Avec son petit cercle d’ami s, il est disert, drôle. L’intimité lui sied mieux que les grandes réunions. Conscient qu’il allait devoir donner un sacré coup de collier pour cette deuxième campagne, l’ancien Premier ministre a pourtant cru qu’il pourrait continuer à se préserver un peu. Ses troupes, elles, attendaien­t une nouvelle impulsion, un investisse­ment total, et des encouragem­ents. Bref, un leader. Mais on ne se refait pas. Ceux qui se sont hasardés à sonner le tocsin se sont entendu répondre : « Personne ne m’imposera mon rythme. »

Dans la tempête, Fillon mesure sa solitude. Qui, hormis les fidèles Bruno Retailleau et Gérard Larcher, s’est précipité pour le défendre ? Contrairem­ent à l’entourage d’un Chirac ou d’un Sarkozy, « personne n’est prêt à se faire tuer pour lui », constate un de ses soutiens. Il a fallu attendre plusieurs jours pour que les Pécresse, Baroin et autres NKM, mesurant le danger pour la droite tout entière, montent au créneau. Il n’y pas de plan B, ont-ils martelé. Mais, entre-temps, le débat sur un éventuel candidat de substituti­on a déjà produit des effets désastreux.

Alors qu’il n’a pas levé toutes les interrogat­ions, notamment celle concernant son suppléant pour lequel sa femme a travaillé, François Fillon pourra-t-il continuer une campagne fondée sur la vérité? « Ça me renforce », a dit l’ex-Premier ministre à ses proches. Formule creuse de circonstan­ce? Pas du tout. Ce faux dilettante, intellectu­el de la politique, a besoin d’être à moitié mort pour déployer toute son énergie. C’est seulement quand il est au fond de la piscine, asphyxié, qu’il donne le coup de pied salutaire. « Il fonctionne par électrocho­c, résume l’un de ses très proches. Il est comme ça. »

L’affluence au meeting de La Villette l’a démontré : la droite veut gagner coûte que coûte. Forts de cette mobilisati­on, les amis de François Fillon veulent croire que ce coup dur ne sera pas un coup mortel et que, grâce à cet électrocho­c, il se battra désormais comme un lion pour éviter le scénario du pire.

“CONTRAIREM­ENT À L’ENTOURAGE D’UN CHIRAC OU D’UN SARKOZY, “PERSONNE N’EST PRÊT À SE FAIRE TUER POUR LUI”. UN DES SOUTIENS DE FRANÇOIS FILLON

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Meeting tendu à Nice, le 11 janvier. Le candidat est accueilli par Christian Estrosi avec quelques piques.

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