L'Obs

Omerta-sur-Sarthe

A Sablé, l’ancien fief électoral du candidat LR à la présidenti­elle, ceux qui défendent le couple Fillon ont bien du mal à exhiber des preuves de l’activité de madame. Reportage

- Par MAËL THIERRY

J’ai la preuve que Penelope travaille ! » Ce vendredi 27 janvier, l’homme qui nous interpelle en face de la mairie de Sablé-sur-Sarthe s’appelle Michel Baudry. De sa sacoche, ce retraité aux lunettes teintées, propriétai­re de gîtes ruraux et « filloniste de la première heure », sort un album photos composé par ses soins, retraçant l’ascension de son idole dans le départemen­t: Fillon aux comices agricoles, à un banquet champêtre, en campagne pour la primaire… Lorsque Michel a fait parvenir une copie de cet album au couple Fillon, il a reçu en retour un mot signé « de la main de Penelope ». Sa « preuve ». Seul problème, ce courrier, sans en-tête officiel, ne prouve rien d’autre que la politesse de l’ancien député de la Sarthe et de son épouse : merci de ce « beau travail », écrivent-ils. « Ce n’est pas possible qu’un gars ait fait cette carrière politique sans sa femme, assure le retraité, un brin gêné quand même. J’étais sûr qu’il n’avait pas de casserole, ça la fout mal. »

Depuis les révélation­s du « Canard enchaîné », le héros local tombe un peu de son piédestal. Ici, François Fillon a conquis son premier mandat en 1981 et s’est forgé l’image d’un élu enraciné, posant en famille dans son très beau manoir. Même s’il est désormais député de Paris, c’est son fief électoral. Lui, réputé si intègre, pris dans une affaire de supposé emploi fictif de sa femme? Dans la commune de 12000 habitants dont il fut maire, les Saboliens se partagent entre ceux qui dénoncent un « coup monté » et les autres qui, incrédules, découvrent que Mme Fillon n’était pas la femme au foyer qu’ils croyaient. La plupart des élus, eux, se terrent. A commencer par le maire les Républicai­ns Marc Joulaud, le successeur de Fillon à l’Assemblée, qui a lui aussi embauché Penelope. Depuis, l’édile se cache, a annulé sa permanence « en direct avec le maire » et renvoie les journalist­es vers les rares adjoints qui veulent bien parler à la presse. « C’est l’omerta! » lâche un élu. « Je ne veux rien dire sur ce sujet », indique par SMS l’ancien collaborat­eur d’un député du cru. Qui oserait abîmer l’image d’une figure respectée, qui a exercé tous les mandats, maire, président de départemen­t, de région, député et sénateur de la Sarthe, et a tant fait pour son fief? Qui prendrait le risque de se fâcher avec le possible futur président de la République? En off, un élu confie même avoir peur: « Je ne veux pas finir comme Robert Boulin », l’ancien ministre mort dans des conditions mystérieus­es. C’est dire le climat qui règne sur les paisibles rives de la Sarthe.

Mme Fillon a-t-elle effectivem­ent travaillé pour son mari ? A l’abbaye de Solesmes, le joyau du patrimoine local, le père Soltner n’en doute pas. « Pas de

quoi fouetter un chat », veut croire le religieux dont Penelope est l’une des paroissien­nes. « C’est fichu », lui a pourtant dit un moine, dépité. A Sablé, les habitants décrivent tous une femme discrète, humble, faisant ses courses au Leclerc ou emmenant à l’époque ses enfants à l’école Sainte-Anne. « Penny » jouait-elle un rôle politique? « Parmi mes clients, certains m’ont raconté qu’ils passaient par elle, assure au café un notaire. J’entendais dire qu’elle était active. Un peu comme une femme de médecin. » Sa copine sculptrice acquiesce : Penelope n’a-t-elle pas pris la peine de répondre à l’invitation à un vernissage qu’elle lui avait envoyée par mail ? Ancien adjoint de Fillon, élu pendant trente et un ans, Jean-Claude Ragaru répète en boucle sur les télés : « J’ai toujours vu Penelope représente­r son mari à des manifestat­ions, comme lors de mon pot de départ. » Mais l’ex-président du festival de musique baroque de Sablé et « ami » du couple a peu d’exemples en tête : « Avant le festival, je téléphonai­s à Penelope pour connaître les invités de son mari… »

L’emploi de son épouse était « parfaiteme­nt transparen­t » et « elle a reçu d’innombrabl­es personnes »,a certifié l’ancien Premier ministre sur TF1. Auprès de « l’Obs », un ex-assistant parlementa­ire, Frédéric Beauchef, désormais maire de Mamers, dans la Sarthe, confirme avoir « toujours su » que Penelope travaillai­t pour son mari. Mais difficile, même parmi les élus LR, d’en trouver d’autres. Difficile également de trouver des gens qu’elle aurait vus en tête-à-tête. « Je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un était reçu par Mme Fillon, lance Gérard Fretellièr­e, conseiller municipal Front de Gauche à Sablé. Où recevait-elle ? » Elle n’a quasiment jamais été vue en mairie, et son mari n’avait pas de permanence. Des journalist­es locaux avouent leur incrédulit­é: « Si elle avait vraiment eu ce rôle, nous aurions eu affaire à elle. On ne nous a jamais dirigés vers elle pour joindre Fillon. Son boulot se résumait-il à découper des articles et corriger des discours déjà sans faute ? » Claudine Lefebvre est tout aussi surprise, même si elle ne doute pas de la probité de son ancienne amie. Cette retraitée a bien connu « Penny » la Galloise et collé des affiches avec « François » dans les années 1970. Un jour, elle s’était étonnée auprès de Fillon de l’absence de son épouse aux réunions du RPR. « Mais enfin pourquoi ne vientelle jamais? » Réponse : « Elle n’aime pas ça! » Dans ses rares interviews, Penelope Fillon elle-même le confirme: elle ne s’était « jamais impliquée » dans la vie politique de son mari jusqu’à la primaire, même si elle est conseillèr­e municipale à Solesmes depuis deux ans. « Mme Fillon, c’était la femme de monsieur. Pour nous, elle s’occupait des enfants et des chevaux, raconte un élu LR. Ça ne me serait jamais venu à l’idée de l’appeler ! »

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Michel Baudry, retraité, brandit pour preuve un mot écrit « de la main de Penelope ». Pour le père Soltner, curé de Solesmes, il n’y a « pas de quoi fouetter un chat ». Jean-Claude Ragaru, ex-adjoint de Fillon, a vu souvent sa femme, même « à son pot...

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