L'Obs

Le cahier critiques

Cinéma, livres, musique, exposition­s, théâtre… Notre sélection

- JÉRÔME GARCIN

Grâce à l’excellent Christian Oster (photo), j’ai parfait mes connaissan­ces et mesuré combien, dans le domaine du cinéma et du théâtre, elles étaient lacunaires. Imaginez, vous allez rire, que j’ignorais jusqu’à l’existence de l’actrice France Rivière – elle a pourtant joué dans des films fameux, « les Conspirate­urs » de Jan Sikorski, « le Petit Mausolée de Saint-Cloud » de Bertrand Simonin ou « Arrête-moi » de Christian Petitpierr­e! Pis encore : je ne savais rien du théâtre de Paul Diary, rien de sa pièce « la Conscripti­on des mouches », où s’illustra le comédien Victor Devéliau, bien connu des amateurs de boulevard. C’est dire ce qu’on gagne à fréquenter Christian Oster, l’auteur, jadis chez Minuit, aujourd’hui à l’Olivier, de « Mon grand appartemen­t » (prix Médicis 1999) et d’« Une femme de ménage ». A son contact, non seulement on s’instruit, mais aussi on se grandit. Dans son nouveau roman, où il élève la résignatio­n à la hauteur d’un bel art, il nous donne ainsi une grande leçon de fatalisme. Son héros, Jean Enguerrand, qui cachetonne dans des séries télé, habite à la campagne. Un jour, il oublie d’éteindre le feu sous une casserole et sa maison s’embrase. Pensez-vous qu’il appellerai­t les pompiers? Non. Il laisse tout brûler, fait sa valise et prend le train pour Paris, où il s’installe à l’hôtel, se met au régime, change de nom et de portable. Dès lors, et à l’exception des tournages qu’il doit honorer, cet adepte nonchalant du lâcher-prise décide de s’abandonner au hasard, profite d’un taxi partagé avec la plus très jeune actrice France Rivière pour aller vivre chez elle, où il découvre le fils de cette dernière, qui sort de psychiatri­e, et qu’il va suivre, en avion, jusqu’au Japon, pour aller voir… des bambous. C’est la variante littéraire de « marabout bout de ficelle selle de cheval ». Tout cela raconté avec un sérieux imperturba­ble qui est la marque de Christian Oster. Sa manière de pratiquer l’absurde avec solennité, de raisonner la loufoqueri­e et d’enrober l’incohérenc­e des situations dans de longues phrases savantes (ah, cette « lumière du jour [qui] tombait en trapèze sur un sol de vieille ardoise, filtrée par une fenêtre éblouissan­te »), elles-mêmes encastrées dans des pages sans alinéa, provoque une incroyable jouissance de lecture. Et puis quoi, on s’attache beaucoup à son narrateur, à ce comédien flegmatiqu­e de série B qui a tout perdu, aime son métier «à l’exclusion des acteurs », et dont on lit la confession désabusée comme si elle nous était personnell­ement destinée, comme si l’on pouvait, d’un mot, d’un geste, empêcher cet homme maigre de travailler au progressif effacement de soi. Allons, Jean, fais un effort, reste avec nous.

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