L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- Par JÉRÔME GARCIN

A vec Marc Lambron, c’est toujours un peu Noël après Noël. Ça brille, ça crépite et ça champagnis­e à chaque page. Fusées de bons mots, cascades d’aphorismes, bouquets de citations. Grâce au nouvel académicie­n français, le journal intime a désormais sa version pyrotechni­que. Celui qu’il a tenu en 1997 (« Quarante Ans », Grasset, 23 euros) donne le tournis rétrospect­if. Déjeuners au Crillon ou au Ritz, défilés de mode, interviews de stars, vernissage­s, générales, dîners en ville ou au Siècle, fêtes chez Castel… On en sourirait si ces événements mondains n’étaient l’occasion, pour le conseiller d’Etat, de se livrer à un exercice où il excelle : le portrait au fusain, et en une phrase. (Beigbeder : « Un côté Truman Capote qui n’aurait pas oublié Enid Blyton » ; Onfray : « Oiseau à bec vif perché sur une ligne à haute tension » ; Sollers : « Le vivace français. ») L’année 1997 est aussi celle où Marc Lambron guigne le prix Goncourt avec un gros roman sur Vichy, « 1941 ». Son Journal mordant vire alors à l’aigre, et c’est dommage. L’auteur est plus inspiré par un défilé Jean Paul Gaultier ou par un dîner huppé chez Chanel que par la chronique de la vie littéraire, où il se voit des ennemis partout (pour avoir trouvé à son livre des qualités de dramaturge et quelques défauts de romancier, j’ai même droit au qualificat­if, un peu excessif, de « tueur ») et, afin de se consoler, reproduit les lettres dithyrambi­ques de ses amis. La bataille des prix d’automne est toujours tristounet­te. Vingt ans après, c’est d’un sinistre. Et tellement insignifia­nt lorsqu’on vient de perdre son père. Le 1er mai 1997, Marc a en e et dit adieu à Paul Lambron. Un drame qui a réveillé chez lui la douleur provoquée, deux ans plus tôt, par la disparitio­n de son frère Philippe, emporté dans la fleur de l’âge par le sida. A peine l’écrivain évoque-t-il, ici, « cette brisure, ce qu’il y a de pour toujours inconsolé ». Au mieux s’éloigne-t-il, pendant quarante jours, de son Journal, de son carnet de bal. Extrême pudeur, comme on dit extrême-onction. L’auteur de « Eh bien, dansez maintenant » fait penser à ces comédiens frappés par le malheur qui remontent sur scène pour amuser la galerie, et parce que « the show must go on ». C’est ça, « Quarante Ans » : une fête forcée autour d’un trou noir, une valse chancelant­e sur un volcan, une manière de traiter le chagrin par le dérisoire et d’étou er un sermon de Bossuet avec du David Bowie à tue-tête.

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