L'Obs

Loisirs A la chasse aux zombies dans Paris

Un lieu clos, une énigme, des décors soignés : c’est parti pour une heure d’“escape game”, ces nouveaux jeux qui ont le vent en poupe chez les trentenair­es stressés. Notre reporter en a testé un, Bunker Zombie

- Par BÉRÉNICE ROCFORT-GIOVANNI (1) Certains prénoms ont été changés.

Vous flânez tranquille­ment le long des Grands Boulevards, marquant çà et là une halte devant les vitrines… sans imaginer un seul instant la crise qui couve sous terre à quelques mètres de là. Un virus dérivé d’Ebola s’est échappé d’une île du Pacifique, transforma­nt tous ceux qu’il contamine en zombies. Il y a bien un antidote conçu par le Dr Koulikov, un mystérieux professeur russe, mais il est caché dans un bunker oublié de Paris...

On est partis à sa recherche, à quatre, un samedi. Notre mission a un prix, 30 euros chacun, pour une partie d’une heure. Bunker Zombie est l’un des quelque 80 escape games de la capitale, un concept né au Japon il y a dix ans. Ces jeux d’évasion, un enchaîneme­nt d’énigmes dans un lieu clos au décor soigné, s’inspirent d’univers fantastiqu­es ou historique­s : « le Cachot de la Bastille », « les Catacombes », « l’Enigme du sous-marin »… En France, ces « Fort Boyard » nouvelle génération apparus il y a trois ans cartonnent. Le coeur de cible de ces mondes chimérique­s, ce sont les trentenair­es, explique David Peyron, sociologue, auteur de « Culture Geek » (FYP Editions). « Cette génération adore les micro-évasions. Elle a grandi avec “le Seigneur des anneaux”, “Harry Potter”… » Vanessa (1), 30 ans, éducatrice dans les Hauts-de Seine, en est déjà à son troisième escape. La première fois, c’était une enquête type Sherlock Holmes. Le deuxième jeu se déroulait dans la réplique d’un cabaret parisien, le troisième dans une cabine de bateau reconstitu­ée. Ce qui lui plaît le plus ? « Fouiller pour trouver des indices ! On est comme des enfants dans une chasse au trésor. Ça met tous les sens en éveil. » De plus en plus d’entreprise­s y envoient leurs salariés pour ressouder les troupes, une forme de team building moins risquée que le saut à l’élastique, à la mode dans les années 1990 comme danse« Riens du tout », le premier long-métrage hilarant de Cédric Klapisch.

Rendez-vous est donné à 20h30 au rezde-chaussée d’un immeuble du 9 arrondisse­ment qui sert d’espace de coworking aux travailleu­rs freelance la journée. Notre maître du jeu est Corentin, un étudiant d’Isart Digital, qui forme à la création de jeux vidéo. Le jeune homme nous invite à patienter sur de gros poufs gris, devant

des bocaux de Carambar et de bonbons Kréma. Il revient tout essoufflé au bout de dix minutes, les groupes s’enchaînent et, comme au théâtre, il a dû remettre en ordre les décors entre chaque scène. Nous sommes conduits au sous-sol, où un petit film est projeté. Les instructio­ns tiennent en deux lignes : 1) fouillez; 2) communique­z. « Il ne faut pas hésiter à repasser les uns derrière les autres car nous ne cherchons pas tous de la même façon », explique Corentin.

Si les scénarios des escape games ressemblen­t à ceux des jeux vidéo, ces passetemps en sont la parfaite antithèse. « C’est le grand retour du jeu à plusieurs. Les gens ont besoin de concret, de faire quelque chose ensemble. Ce mouvement a commencé avec les bars qui proposent des jeux de société à leurs clients », analyse David Peyron.

Florian, 38 ans, ingénieur, l’un de mes acolytes dans Bunker Zombie, y voit une version light des jeux de rôle grandeur nature type murder parties, ces Cluedo « en vrai » très populaires dans les années 1980. « Mais c’est bien plus simple, plus accessible. Il n’y a pas besoin d’équipement ou de déguisemen­t, tu peux venir avec les amis que tu veux, même ceux qui ne sont pas geek. »

En tenue de ville, donc, nous nous engouffron­s en file indienne, intimidés, dans la première pièce du jeu. Le sol est en béton, il fait sombre et des grognement­s de zombie retentisse­nt d’on ne sait où. Il y a des caisses en bois, des tas de recoins à explorer, des accessoire­s tout droit sortis d’un surplus militaire. Le compteur tourne : nous n’avons qu’une heure pour trouver le sérum. Quand une voix lance : « Il ne vous reste plus que cinquante minutes d’oxygène », le stress monte d’un cran. Au fond, on devine un générateur électrique, derrière une grille. Lasers, gadgets automatisé­s : Bunker Zombie fait la part belle aux effets spéciaux. Comme tous les escape games, il a été essayé sur un panel de joueurs avant d’être lancé, histoire de tester la difficulté des énigmes. « On invite des personnes qu’on ne connaît pas, pour ne pas être influencés. On les observe avec une caméra. Si on voit qu’ils butent trop longtemps à un moment donné, on change le déroulé », explique Ania Mouravnik, fondatrice de Team-Time, la société qui a créé Bunker Zombie. Nous retournons à la recherche de la moindre clé, du moindre outil qui nous permettra d’accéder au générateur. Pas question de « spoiler » le jeu, mais, parmi nos découverte­s, nous pressenton­s très vite qu’un doigt coupé de zombie finira bien par avoir une utilité… Je me charge de le conserver. « Oui! Bravo ! » : à chaque indice trouvé, nous nous congratulo­ns mutuelleme­nt. Le maître du jeu ne perd pas une miette de nos progrès grâce à une discrète caméra. Il nous glisse de temps à autre une indication. Nous progresson­s à grands pas. La grille du générateur ne nous résiste pas bien longtemps. Passé la première demi-heure, pourtant, je commence à avoir des noeuds dans le cerveau tant les énigmes se compliquen­t. Fini les cris de joie, le bel esprit de groupe, chacun cherche désormais dans son coin. Corentin intervient de plus en plus souvent. Quand enfin le doigt du mort-vivant semble pouvoir servir, je m’aperçois avec effroi que je ne sais plus où il est. Affolement de mes camarades. J’ai du mal à les distinguer dans la pénombre, mais je sens bien qu’ils me lancent des regards noirs. Nous retrouvons in extremis l’index sanguinole­nt par terre. Des sirènes s’enclenchen­t, signe que la fin est proche. Il s’en faut de peu que nous échouions. Nous nous emparons du sérum, ce qui débloque instantané­ment la porte du bunker. A six secondes près, c’était la fin du monde.

On a l’impression d’avoir plongé dans un vortex temporel, coupé de tout. « Je n’ai pensé à rien d’autre pendant tout le jeu, comme si la vie extérieure n’existait plus », souffle une de mes coéquipièr­es, Elisabeth, 37 ans. L’escape game, dernier stage de déconnexio­n en vogue pour jeunes adultes stressés.

Pour Bunker Zombie, les participan­ts doivent fouiller un sous-sol à la recherche d’indices. Ils ont cinquante minutes pour découvrir le scénario proposé, trouver les solutions et échapper à l’asphyxie… “JE N’AI PENSÉ À RIEN D’AUTRE PENDANT TOUT LE JEU.” ÉLISABETH, 37 ANS

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